samedi 6 mars 2021

Alain Lahana: (avec les Stranglers) «Notre relation était profonde, bien plus que du simple ”business”»

Nous avons le grand plaisir de vous proposer une interview exclusive d’Alain Lahana.

Incontournable dans le milieu du rock, celui qui fait encore tourner Iggy Pop et qui a fait jouer les Stranglers partout en France (période avec Hugh) a accepté de nous donner une interview passionnante sur son compagnonnage et sa complicité avec le groupe. 

Grand copain de Jean-Jacques Burnel, Alain Lahana a traversé un grand nombre d’événements avec les Stranglers. Merci à lui pour cet échange passionnant !

 

Bonjour Alain. Tout d’abord, je tiens au nom de l’équipe du blog à te remercier d’avoir accepté de répondre à cette demande d’interview. Tu es à ce jour l’un des plus importants producteurs de concerts et de tournées en France. On dit de toi ”l’homme aux dix milles concerts” ! Tu as fait jouer un peu partout en France des artistes aussi prestigieux qu’Iggy Pop, David Bowie, Patti Smith ou Depeche Mode. Tu as également connu très tôt les Stranglers :  tu t’es occupé d’eux pendant plus de dix ans et  c’est à ce titre que nous avons envie de t’écouter . Je précise que tu es également resté un ami  et un grand complice de JJ avec qui tu as partagé énormément de choses au cours de ces quarante dernières années. Pour débuter notre échange , peux tu nous parler de tes débuts, comment tout cela a commencé ?
 
Le nombre de concerts n’est pas le plus important. Je préfère plutôt souligner la cohérence de mon travail  et le prolongement dans le temps de mon accompagnement de la plupart de ces artistes. Mais il faut bien comprendre que l’époque ou j’ai débuté n’a rien  voir avec celle d’aujourd’hui. Quant aux groupes que tu cites ainsi que bien d’autres, certains d’entre eux ne brillaient pas forcément à l’époque !
J’ai donc commencé mon aventure au lycée, juste avant mai 68. Le contexte était alors très libre, très ”open” et j’ai ainsi débuté assez simplement. Je m’intéressais alors à la photographie et j’étais également très impliqué dans la natation de compétition.
Quand j’avais 15 ans, j’ai monté au lycée une fête parallèle de fin d’année. Je voulais faire jouer le groupe de mon frère. Mais je le répète, le contexte était  vraiment différent et complètement favorable à plein de choses dont seuls ceux qui ont vécu cette période peuvent se souvenir. 


 
Tu as rapidement organisé plein de concerts et tu as même participé à cet événement incroyable qui fait aujourd’hui fantasmer plus d’un type de ma génération, à savoir la création du fameux festival de Mont de Marsan . Tu nous en dis un mot ?
 
En 76 arrive le punk. Je travaille déjà avec Marc Zermatti pour faire tourner des groupes dans le sud ouest (Bijou, Little Bob,  Eddy and the Hot Rods, etc.). Concernant ce fameux festival, j’ai pris contact avec mon correspondant dans la région, dont le père travaillait à la mairie de Mont de Marsan. Ce dernier pouvait nous avoir les arènes gratos  et nous avions un budget artistique de 18000 francs pour la première édition. Pour la seconde on a payé 620 livres pour avoir les Clash ! Beaucoup de gens aujourd’hui qui se disent branchés rocks te diront qu’ils y étaient mais à la vérité, il n’y avait pas grand monde la première fois ! Nous avons payé de notre poche le déficit !!!
La seconde édition était beaucoup plus ambitieuse. Mais il faut savoir aussi que beaucoup  de festivals à l’époque se sont fait interdire car  les autorités craignaient l’apparition de nouveaux Woodstock. Alors pour passer incognito nous avons décidé de faire et refaire Mont de Marsan car qui pouvait deviner alors que, dans cette ville, qui hébergeait d’ailleurs une garnison de parachutistes,  pouvait avoir lieu un festival de rock ! Nous avions les Clash, un petit groupe qui s’appelait Police payé 100 livres à l’époque , les Jam et les Damned. A l’époque ces jeunes musiciens n’étaient pas des légendes ! Et c’était également des groupes qui tournaient difficilement en Angleterre et donc je pouvais les avoir assez facilement et avec peu de moyens.
Et là, en effet, cette seconde édition a été proprement mythique alors que pour nous, c’était seulement un super ”coup” musical, sans lendemain particulier. 


 
Comment as-tu découvert les Stranglers ? Comment s’est passé votre première rencontre ?
 
Pas directement. Une boite, Rosebud Productions, m’avait embauché vers 78, après Mont de Marsan. Il n’y avait pas vraiment de tournées en France, tout se passait essentiellement sur Paris. A cette époque, on ne tournait pas en province.  C’était comme ça. Nous gérions les Talking Head, Police, Thin Lizzy, Ramones, Iggy, etc.
Pour revenir aux Stranglers,  je les ai vus la première fois en 78, au fameux Battersea Park. J’avais, à l’époque, ma petite amie qui vivait à côté. C’était avant le Bataclan je crois. Nous y avions également invité des strip-teaseuses et c’était Rosebud, la boite de prod, qui avait organisé ça. Malheureusement, au début des années 80, la boite dépose le bilan. Tout est assez instable, pas mal de concerts annulés et comme nous étions fragiles, nous avons dû arrêter. De mon côté, j’avais d’autres activités dont celle de m’occuper du groupe de Paul Personne (Backstage), tout en bossant également avec Bernard Lavilliers dont j’ai été aussi le régisseur puis le directeur d’édition. J’ai arrêtée de travailler avec Lavilliers que JJ a d’ailleurs souvent rencontré, le jour où j’ai épousé sa femme !   

 

 
Puisque tu me parles de JJ : comment s’est nouée la relation ? Première approche ? Avec un groupe et un musicien réputés pour ne pas être précisément facile (à l’époque) à approcher ?
 
Écoute, je n’ai aucun souvenir de trucs difficiles avec eux. Au contraire, tout se passait très bien. Et comme la coke coulait à flot, tout le monde était content ! Mais le truc avec eux, c’est qu’ils n’étaient vraiment pas comme les autres. Et il ne pouvait être question de les traiter comme les autres. Leurs différences, leurs ”aspérités”, ne devaient surtout pas être gommées. Si tu comprenais cela, voire même si tu en jouais, tout devenait plus facile. J’avais un bon feeling avec eux, notre relation dépassait celle d’un simple rapport entre un groupe et son tourneur. Notre relation était profonde, bien plus que du simple ”business”. 


 
A cette époque , tu as souvenir du fameux concert de Nice ? Et de sa fin apocalyptique !
 
Oui , justement c’était avec Rosebud que nous les faisions tourner. Je ne me rappelle plus le nom du producteur local. Il bossait avec Magma. Nous avions déclaré les Stranglers comme un groupe folklorique ! A l’époque, j’avais déjà des difficultés avec la mairie. Bernard Lavilliers avait écrit une chanson sur le maire d’alors (Jacques Médecin) et je ne pouvais plus le programmer  ou alors  seulement en banlieue de Nice. Pour les Stranglers, nous avions eu la Faculté. Nous pensions que cet amphi pouvait aller. C’était bien réglé à l’origine. Et puis tout s’est précipité..... Par contre  il faut que tu saches que les salles de concerts étaient très sommaires. Une salle de sport pouvait faire l’affaire ! On organisait avant tout des galas, les grandes salles étaient sur Paris. Les groupes ne tournaient pas. Il fallait se démerder en permanence avec des trucs style gymnase ! 


 
JJ m’ a souvent dit que les Français n’avaient pas de culture ”rock” , avec toute l’infrastructure et la culture qui va avec (salles, clubs, pubs etc). Nous étions plus branchés ”chanson française ”, voire variétés mais pas musique et culture rock. Du coup cela devait être compliqué pour un tourneur de trouver des salles correctes, surtout pour des groupes habitués à jouer dans de vraies salles.
 
Oui, il y avait très peu de lieux pour faire jouer les groupes. Mais on faisait avec ! A cette même époque, celle de Nice, j’avais fait jouer les Stranglers à la fête du PSU où jouait également Anne Sylvestre.  C’était possible à l’époque ! 


 
Toi qui a vu de très près leurs concerts,  tu confirmes toute la  violence sur scène et autour, qui pouvait  rejaillir lors de leurs prestations ?
 
Oui, c’était parfois très violent, y compris en France. Il ne fallait pas les emmerder. JJ, entre autres, faisait le coup de poing facilement !  


 
Comment tu les définirais ? Chacun avec leur propre personnalité ?
 
Je n’ai  pas une image de chacun. C’était avant tout une présence physique. Quand ils entraient tous les quatre dans une pièce, il se dégageait quelque chose de puissant. Ils étaient habités, déterminés, puissants je le répète. Une force impressionnante. Ils n’avaient peur de rien. Une volonté inébranlable, une puissance magnétique. Et puis aussi des sales ”gosses” (!!!) qui adoraient pousser le bouchon le plus loin possible. No limit !!!
Ils avaient aussi une grosse équipe autour d’eux. Je pense à leur Tour Manager Bill Tuckey ou à Dino en charge de leur sécurité. C’était une vraie famille, très soudée.


 
Parlons un peu de JJ : un premier disque solo (Euroman) qui a eu un succès d’estime puis ”Un  jour parfait” ....
 
Attends, ne néglige pas l’importance d’Euroman car c’est un disque plus qu’expérimental. JJ présentait et affirmait autre chose que ce qui relève habituellement des préoccupations du Royaume-Uni. Il sort de son univers ”Stranglers” et c’est intéressant et novateur dans la démarche. 


 
Ok, arrive ensuite ”Un jour parfait”; tu y a contribué je crois ?
 
Je suis le producteur exécutif de son second disque solo. J’étais alors son manager. Signé chez CBS avec, à l’époque, comme attaché de presse radio Pascal Nègre, futur patron d’Universal. Je m’occupais aussi à cette époque de Sade. Mais chez CBS, il y avait un petit groupe de gens formidables avec qui je pouvais parler vraiment musique. Je pense notamment à Virginie Auclair, un personnage clé en France à cette époque. 


 
Cet album a été peu joué ”live” . JJ n’a pas fait de concerts  pour en assurer sa promotion. Inversement, il a fait un maximum de plateau TV et pas des moindres, Drucker compris. Pourquoi ?
 
C’est avant tout un disque ”soft”, bien loin des Stranglers. Compliqué de proposer autre chose sans être vampirisé par son rôle de bassiste des Stranglers.
 

 

Pour revenir au groupe , tu as une période ou même un disque que tu préfères dans leur long parcours artistique ?
 
Le premier truc qui m’a frappé chez eux, c’est la chanson ”Hanging Around”, ce titre m’a vraiment marqué. Mais sinon ”Féline”, magnifique. Je dois avoir leur disque d’or. Ils tournaient beaucoup avec ce disque, notamment en France. Pour la deuxième tournée,  j’ai monté  en première partie un match de catch sur Ballard avec quatre Top Less sur le ring. Au  Palais d’Hiver, j’avais fait repeindre leurs loges en noir. Tout en noir ! Mobilier, serviettes, bougies... ils étaient bluffés ! J’étais bien copain avec leur garde du corps, l’ex de Keith Richards. J’ai fait des tas de conneries avec eux. On rigolait bien, une époque assez dingue. Plus tard, je les ai eus au Castellet en 87, Hugh avait provoqué les motards et on s’était bien fait rayer les bagnoles. Au Zénith, en 85, j’avais fait installer quatre oreilles géantes à l’entrée de la salle, pour écouter le disque.
Parallèlement, je m’occupais aussi de Taxi Girl et donc cela créait beaucoup de liens, de rencontres.


 
Il existe un endroit où tu aurais rêvé de les faire jouer ? Une salle plus qu’une autre ?
 
Entre nous, l’Olympia est un très beau cadre pour eux. La salle Pleyel ? Je ne sais pas... 


 
Après le départ de Hugh Cornwell, le groupe a changé de format et de chanteur. Une période délicate car si le public anglais ne les a pas oubliés, le succès habituel du groupe a marqué le pas. Avec l’arrivée de Baz Warne et le retour au quatuor au début des années 2000, le groupe a trouvé un nouvel élan. Leur carrière s’est relancée. Les tournées s’enchaînent, les critiques sont bonnes et le groupe retrouve une énergie et un plaisir évident à se retrouver sur scène. Comment expliquer un tel retour ? Et un tel plébiscite du public ?
 
Tous les groupes qui ont survécu, en conservant l’essence du départ, peuvent continuer jusqu’à la mort. A partir d’une telle gloire, d’une telle image, d’un tel passé, le groupe peut rester en vie sans problème. D’ailleurs, Baz a passé plus de temps dans le groupe qu’Hugh Cornwell. Ce groupe, c’est comme un club de foot ou de rugby. Ils sont rentrés dans les mœurs. C’est un peu comme une marque et les fans anglais les suivent et le suivront toujours. 

 


 
Dernière question, avec autant de souvenirs et d’éclats d’étoiles dans les yeux, qu’est-ce qui peut encore faire rêver Alain Lahana ?
 
Pouvoir faire encore des trucs demain !!! Ce soir, tu vois, je dois appeler Patti Smith pour monter un truc original. Je vais bosser avec Iggy pour ma quarante quatrième année... idem  avec Bowie avec qui j’ai bossé et qui était avant tout un pote plus qu’un artiste que je faisais jouer. J’ai travaillé avec plein de groupes dont certains avec qui j’avais peu d’atomes crochus. Voire avec qui j’ai eu plein de problèmes comme James Brown, Kid Créole ou Nick Cave. Souvent aussi pour des histoires de drogues, Nick Cave par exemple.
Je peux me faire plaisir avec des trucs qui ne sont pas de mon goût mais qui m’ont laissé un bon
souvenir. Ou  produire des trucs marrant comme les Spice Girls. Tu trouves alors toujours un truc excitant. Je suis plus ”rock” à la base et même jazz rock au début mais je me suis ouvert à tout. Comme disait Franck Zappa, ”avoir l’esprit ouvert c’est comme un parachute, il faut juste l’ouvrir” .

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Interview un peu courte, même pas une petite anecdote? Toujours est il l'idée de départ de faire témoigner Alain Lahana est bonne.

AnneLu a dit…

Très intéressant !! J aimerai bien le rencontrer !!!