jeudi 11 juin 2020

Eric Naulleau : "les Stranglers restent largement au-dessus de tous"

Suite au décès de Dave Greenfield, nous avons eu l’opportunité et le plaisir ”tragique” de réaliser une interview d’Eric Naulleau, célèbre chroniqueur littéraire, essayiste et animateur TV de grand talent.
Mais Eric Naulleau est aussi et avant tout, pour nous, un fan absolu des Stranglers. Il les a découvert en 77 et n’a jamais cessé depuis, de les écouter, de les suivre et de les admirer. C’est un fan traditionnel au sens britannique du terme. Passionné et fidèle ! Nous le remercions encore d’avoir accepté de nous donner cette interview.

- Quand et comment avez vous découvert les Stranglers ?


Au milieu des années 70, l’année 77 plus précisément. Je bénis encore cette période où des disques extraordinaires sortaient quasiment toutes les semaines. C’était le mouvement punk, encore que pour certains groupes dont les Stranglers cette appellation ne convenait pas forcément. Même chose pour d’autres groupes comme les Jam, voire les Clash. J’étais aussi très fan de celui qui deviendrait mon idole, Graham Parker. Puis il y a eu la double sortie dans les deux ans qui ont suivi des albums ”Black and White” et ”The Raven”. Deux disques exceptionnels qui m’ont définitivement conquis. Je passais des soirées entières chez un copain qui vivait seul dans une grande maison. Nous écoutions en boucle les disques des Stranglers. Je suis donc un fan que l’on peut qualifier d’historique.


- La signature musicale des Stranglers c’est quoi ? D’abord un couple basse clavier assez unique ou un ensemble alchimique et musical réunissant  en parfaite symbiose quatre hommes au service d’une œuvre infiniment original ?


C’était une équation particulière car on entendait d’abord la basse de Burnel et les claviers de Greenfield mais cette signature originale se déclinait sur des morceaux très différents. Alors oui, on reconnaissait le groupe au bout de quelques secondes mais ce duo ”basse/claviers”  était toujours au service de mélodies incroyables. Il y avait aussi les pochettes des disques, le graphisme, le look des quatre membres qui faisait très ”gang”, très sulfureux, voire dangereux dans leurs apparences physiques. Il y avait aussi cette légende qui courait sur Burnel comme quoi il avait fui la France pour échapper au service militaire. C’était donc un mélange d’attraction musicale, d’apparence du groupe et de légendes diverses liées notamment à JJ Burnel. Ils étaient vraiment à part, au sein d’une époque où sortaient  énormément de disques et donc de groupes. Pour moi il y avait toujours, malgré mes contraintes budgétaires de lycéen une priorité qui était d’acheter les disques que sortait le groupe. Pour revenir aux trois premiers albums je ne pouvais absolument pas imaginer ce qu’ils allaient sortir après. C’était de l’inattendu en permanence. Surtout après Black and White.


- A quand remonte votre premier concert ? Vous les avez vus souvent ? En France, voire à l’étranger ?

Je ne me rappelle pas vraiment la première fois. Mais je les ai vus souvent et encore récemment à l’Olympia. La scène confirmait en plus intense ce que je pouvais percevoir dans leurs disques. Il y avait une vraie théâtralité. Ils avaient compris qu’ils devaient compléter leurs chansons par une mise en scène ou disons par la création d’une atmosphère qui permettait de créer une véritable symbiose avec leur public. C’est à l’évidence un très grand groupe de scène. L’étiquette punk que l’on pouvait leur attribuer collait davantage à leur comportement qu’à leur musique. Il y avait une violence, un sens de la provocation de JJ comme de Hugh. Un sentiment de  danger notamment lorsqu’ils montaient sur la scène. On savait que cela pouvait déraper à tout moment. Mais c’était ainsi dans de nombreux concerts. Je me rappelle par exemple d’un concert des Cramps où la guitariste Poison Ivy pouvait frapper n’importe qui au premier rang, avec ses talons aiguilles !  Mais les Stranglers avaient  une attitude sur scène vraiment dangereuse et imprévisible. Impossible pour les jeunes d’aujourd’hui de se rendre compte. Tout est parfaitement cadré aujourd’hui. Tout est très prévisible alors qu’aller à un concert dans les années 70, début 80, constituait une aventure. Ce n’est plus le cas aujourd’hui....


- Les Stranglers étaient à l’époque, plus vieux que leurs homologues et davantage aguerris à la pratique de leurs instruments comme de la scène. Dans le contenu de leurs œuvres, ils n’hésitaient pas à se servir de symboles et à aborder des thèmes parfois ésotériques voir abscons. Que retenez vous de toutes ces pochettes, de tous ces textes, de ces concepts (les rats, la panthère, le corbeaux et les vikings, le noir et le blanc, la vie extraterrestre et le 1er testament ou même la génétique)  :  un moment d’évasion  peu commun,  corsé  d’une pointe d’ésotérisme pour l’ado que vous étiez alors ?

Le symbolisme du groupe était parfaitement adapté à son public, notamment les plus jeunes. Nous étions ouverts à des images fortes, subversives, à des thèmes sombres et envoûtants. Leurs paroles étaient souvent menaçantes, l’atmosphère était lourde, écoutez ”Curfew” par exemple ! Adolescent, on imagine le monde à travers un filtre très expressionniste. Tout l’univers des Stranglers, leur imagerie étaient adaptés à nos attentes. Pour moi, par exemple, la pochette de Black And White est la pochette ultime. Celle que je préfère de toute l’histoire du rock. J’ai adoré aussi celle de l’album ”The Raven”.
Leurs textes faisaient également écho à mes lectures ou aux poèmes que j’aimais, notamment ceux d’Edgar Poe. Tout leur univers, leur imagerie, leur ambiance me passionnaient. A ce moment de mon adolescence, j’étais friand comme beaucoup d’autres de toute la dimension subversive de leur œuvre. Étant féru de littérature j’aimais leurs textes nettement au-dessus de ce qui se faisait à l’époque.


- Les Stranglers c’est aussi, pour nous Français admiratifs de la scène rock britannique, un de nos compatriotes à la basse, à savoir JJ Burnel. Comment définir l’apport de JJ sur le plan musical en évitant de le considérer systématiquement sous l’angle de la provocation ou de la  violence qui le caractérisait à l’époque ?

Oui, c’était unique à l’époque d’avoir un français dans un tel groupe ou dans un groupe tout court. Il courait sur lui beaucoup d’informations contradictoires. Nous n’avions pas internet et nous n’avions que des  bribes d’infos. Il incarnait à lui seul une certaine ”punkitude”. C’était un bon client des faits divers. Avoir un Français dans un groupe de rock, c’était donc aussi unique à l’époque que d’avoir un joueur de foot français dans un club anglais de première division !
Le rock français ne s’exportait pas et moi mes goûts me portaient quasi exclusivement vers Londres ou New York. Les groupes français évoluaient entre le rock et la variété. Nous étions dans un cadre assez assagi et parfois folklorique. C’est assez injuste d’ailleurs mais c’est comme ça. J’ai été élevé au biberon anglo-saxon et mes sources se trouvent là et pas en France . Pour revenir au groupe, JJ Burnel contribuait à sa façon à ce que les Stranglers sentaient méchamment le soufre !


- Avez-vous un album préféré, voir également une période du groupe que vous avez aimé plus particulièrement ?

Sans hiérarchie particulière et aussi pour des raisons d’âges et de souvenirs , le sommet est atteint pour moi  avec ”Black and White” et ”The Raven”. Je les écoute d’ailleurs toujours régulièrement.
Pour l’anecdote, le copain avec qui j’écoutais de la musique quand j’étais lycéen était plutôt branché rock progressif et pas vraiment par le punk et du coup il  aimait aussi les Stranglers ! J’ai adoré aussi Rattus Norvegicus mais je considère que Black and White est vraiment au-dessus du lot. Y compris sur scène où les titres de cet album sont épiques.
Je voudrais aussi rajouter à mon top 3  ”Aural Sculpture” que j’aime beaucoup également.


- Votre génération a pu à la fois découvrir le punk mais aussi la queue de comète de ce mouvement avec l’apparition de tous ces groupes post punk , qualifié de ”cold wave.” Joy Division, Killing Joke, Cure, etc. Avez vous apprécié cette période de transition particulièrement effervescente sachant que parmi ces groupes, beaucoup citaient les Stranglers comme une référence, je pense à Simon Gallup de Cure, Peter Hook de New Order, Larry Mullen de U2, Jim Kerr de Simple Minds, Dalmon Albarn de Blur, qui ont toujours cité les Stranglers comme un groupe référence pour eux.

Oui, les Stranglers sont le groupe référence. Pas étonnant que tous ces musiciens, très différents, les citent souvent. Pour le reste tout dépend des groupes. Pour moi, The Cure c’est de la Pop. Par contre Joy Division c’est une toute autre affaire. J’ai adoré et j’écoute toujours Joy Division. Ils sont tout en haut pour moi ! Ensuite vint le son des années 80 et là c’était pas terrible. Rappelez-vous certains albums , c’était terrible. Même Bruce Springsteen…
Donc je n’ai pas trop suivi la suite, je suis resté coincé dans cette période 70/80 et les groupes de cette époque constituent encore et toujours mon stock de référence permanent. J’ai bien aimé aussi les Damned que j’ai vu en concert également.
Mais au final, les Stranglers restent largement au-dessus de tous.


- Le groupe a perdu Hugh Cornwell en 1990 et ils ont traversé une période un peu compliquée pendant une bonne quinzaine d’année. Avec l’arrivée de Baz Warne et la stabilisation à quatre sur scène le groupe a retrouvé le chemin du succès. De biens meilleurs disques et des concerts comme des tournées toujours plus acclamés chaque année qui passe. Une telle longévité, une telle persévérance est plutôt rare : que pensez-vous de  ce long chemin artistique jamais interrompu  et notamment sur ces dernières années qui tournaient au plébiscite permanent ?

Leur longévité tient en grande partie dans leur volonté de se renouveler musicalement, d’explorer d’autres territoires en permanence. Une grande exigence donc en termes de création et d’originalité. Les fans aiment les voir évoluer et, phénomène assez unique, les suivent fidèlement dans leurs transformations permanentes. C’est un phénomène très anglais que de suivre fidèlement les groupes comme les clubs de sports. Je prends l’exemple du club de foot de Sunderland dont Baz est un fan absolu, peu importe le classement de l’équipe, les supporters seront toujours là. Ils sont comme ça. Et les fans des Stranglers sont des fans acharnés qui seront toujours là pour le groupe. D’ailleurs de façon générale, et tant pis je me fais des ennemis, je veux dire encore plus d’ennemis, mais le foot comme le rock restent en Angleterre largement au-dessus de ce que nous pouvons produire ici. C’est leur tradition, c’est eux qui en sont les dépositaires.


- Un dernier mot au sujet du groupe et de son avenir plus qu’incertain: pour vous c’est définitivement terminé ou vous nourrissez encore l’espoir de voir JJ chanter quelques titres, seul, ou avec Baz ou avec un autre groupe ? Fantasme ou déni de réalité ? Nous nous posons tous la question en ce moment.

Question compliquée ! C’est comme si les Stones perdaient Charlie Watts. Je ne les imagine pas monter sur scène sans leur batteur et cela même s’il restait Mike Jagger et Keith Richards. Pour les Stranglers, c’est pire puisqu’il ne reste plus que JJ comme membre d’origine.
Je vois mal comment le groupe pourrait continuer sans lui. C’est à JJ de décider mais j’ai beaucoup de mal à les voir sur scène sans Dave.
Maintenant c’est un groupe qui a connu plusieurs métamorphoses et tout peut s’imaginer.
Mais franchement entre nous, je les vois mal continuer même si une porte reste probablement ouverte. Soit pour rendre hommage à Dave soit pour à nouveau se transformer.

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NDLR: Comme lui, nous ne savons ce que sera l’avenir du groupe. Le groupe peut il continuer sans son maestro au clavier ? Les Stranglers sont ils devenus une ”marque” dont l’existence et le rayonnement dépassent la présence ou pas de ceux qui en composent la formation ? Tous les avis sont possibles et respectables. De notre coté, quoi qu’il arrive, nous continuons l’œuvre entreprise, celle du Blog in Black ! 

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Une interview passionnante sur le groupe et un passionné de la première heure qui connait très bien son sujet. Dans tous les cas, un groupe qui a marqué l'histoire du rock. Difficile, en effet, d'imaginer ce qui se passera par la suite...

RV

seb aka fakor a dit…

Entretien rondement mené, questions pertinentes et réponses passionnantes à lire! Merci le blog in black et merci à Eric Naulleau également!

Anonyme a dit…

Bien plus sympa que son pote Zemmour

Pop Barth' a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Pop Barth' a dit…

Bravo pour cette interview. Eric Naulleau est un type intelligent avec les bons goûts musicaux qui vont avec. J'aimais bien son duo avec Zemmour, leurs propos vrais et cinglants, détonnants dans un P.A.F ultra conformiste, chiassou et auto-censuré.