mercredi 13 janvier 2016

Histoire de basse … (haut les Basses)

Jouer de la basse dans un groupe de rock n’a pas toujours été une pratique très sexy !
Relégué dans un coin de la scène, le bassiste accompagnait traditionnellement le reste du groupe sans reconnaissance particulière. Nécessaire musicalement pour caler tout le monde mais secondaire dans l’affichage visuel, le taiseux de service faisait alors le job.

À l’exception notable de quelques comètes dans le paysage de ces 50 dernières années telles que Paul Mc Carney, Sting ou Lemmy Kilmister qui, eux, portaient ou portent toujours la voix de leurs groupe respectifs, la majorité des bassistes restaient relativement anonymes.

Car si, dans le rock, la basse accompagne principalement les autres musiciens, inversement dans le funk ou le jazz, celle-ci se déploie avec une puissance qui l’autorise à s’émanciper des autres instruments.

Des exemples ?
Marcus Miller ou Jaco Pastorius pour ne citer que deux de ses plus grands ambassadeurs.


Mais dans le cadre plus restreint du rock, l’apport de ses titulaires est bien souvent plus modeste...

Ici, la plupart des bassistes sont avant tout des charpentiers, des bâtisseurs de tonalités dévoués et consciencieux. Des prolos du rythme et de l’harmonique au sens noble. Des types sérieux sur qui l’on peut compter pour maintenir, par temps agité, un semblant d’assise musical au reste de leurs groupes.

Issus d’une classe sociale distincte des étoiles qui brillent derrière leurs micros, ils structurent et consolident humblement l’armature de leurs formations. Un peu comme des ouvriers besogneux qui, patiemment, s’échineraient à colmater discrètement les ratés des têtes d’affiches tout en cimentant inlassablement le joint rythmique avec le batteur.

Que deviendraient en effet certaines chansons parmi les plus célèbres des Who ou des Stones sans la patte d’un Bill Wyman ou d’un John Entwistle ?

Pas inutile de se le rappeler…. Au final pas mal de titres au succès stratosphérique leurs doivent un bout de mérite. Des Pink Floyd à Police, les exemples ne manquent pas.

Et puis le mouvement punk a déferlé …Suivie de près, au début des années 80, par une seconde vague qui, elle ,s’affichera comme celle d’une génération plus romantique ou plus tourmentée. Pour les premiers, la basse permet d’abord de recycler les potes, voire les recalés de la mandoline électrique !. Pour les suivants, c’est surtout l’opportunité sonore de colorer en noir leur tourment existentiel. Les punks font sauvagement bouger d’une case les bassistes sur l’échiquier scénique. Les groupes dits new wave avec tampon d’origine, sans les tee shirt chauve-souris ou les coupes à la Chris Waddle, conjuguent, dans une froide alchimie gothique et élégante, leurs envolées synthétiques à des lignes de basses caverneuses.

Alors de qui parle-t-on ?
De ceux qui vont inspirer plusieurs générations de fans qui, non sans fierté, singeront le « déhanché» de leurs idoles avec cet instrument à connotation phallique sur le dessus des genoux !

Des noms ?
Au sein des Clash, Paul Simonon qui porte sa Fender comme Josh Randal sa Winchester à canon scié et qui triture son calibre avec une classe encore inégalée. Mais aussi Dee Dee Ramones qui mouline frénétiquement ses cordes sur des rengaines aussi primaires que jouissives ou Captain Sensible qui est capable, dans sa démesure, d’apporter un début de sophistication au répertoire des légendaires Damned.

Mais aussi Bruce Foxton, pseudo-punk de circonstance ou plutôt mod en transit dans le paysage musical du moment qui déploiera également avec une belle énergie des trésors d’inventivité injustement sous-estimée au sein des Jam.

Un peu plus tard, Peter Hook enchainera, de Joy Division à New Order, des lignes mélodiques imparables pendant que Simon Gallup, les jambes en mode compas, trace dans la cire son empreinte, désormais indissociable de l’univers créatif des Cure.

Tous se distinguent par une allure, une gestuelle ou un jeu qui les portent naturellement sur le devant de la scène. Ils attirent le regard comme ils capturent les oreilles. Ils ont un véritable charisme qui, pour certains d’entre eux, se double d’une réelle dextérité technique. Avec ces artistes, les bassistes ne sont plus seulement de sympathiques seconds rôles de service.


Et puis il y a le phénomène. Le cas dirons-nous ! Un franco anglais qui fracasse tout sur son passage. Un type plutôt athlétique et au regard dangereusement noir. Un jeune éphèbe aux muscles saillants qui se sert de sa basse comme d’un nunchaku. Un son unique, mordant et agressif au service d’une technique affirmée et confirmée par des années de guitare classique. Il s’agit d’un certain JJ Burnel qui, comme son nom l’indique, s’amuse à nous les faire vibrer non sans une certaine jubilation. Son jeu saillant marquera définitivement l’œuvre des Stranglers. Un peu comme une marque de fabrique, le jeu de ce jeune homme déraciné est immédiatement identifiable et assimilable à la créativité exceptionnelle de son groupe. La basse devient alors, dans ses mains, l’instrument de référence : une « attaque » blitzkrieg sur « Toiler on the sea », une intro jouissive et entêtante sur « Peaches » , une trame rythmique tellurique sur « Down in the sewer » ou une guirlande sophistiquée de notes sur le magnifique « Baroque Bordello ». Le tout servi par une dégaine vestimentaire mono couleur qui invite à l’improbable rencontre de Mishima et des Anges de la mort.

Il y aura dans l’univers du rock un avant et un après JJ Burnel. Car jamais ce type d’instrument qui, par essence, se nourrit de son apport aux autres, n’a été autant valorisé. Dans les mains de JJ, cette longue guitare à 4 cordes devient une véritable arme sonore. Pierre angulaire du son Stranglers, la basse devient alors la boussole musicale du groupe. Groupe devenu avec le temps légendaire et qui témoigne également de toute la richesse d’une époque aujourd’hui révolue.


Car tout cela relève aussi d’une période, d’un contexte voire pour certains, d’un concours de circonstances. Mais le temps passe et malheureusement les médiators changent de mains.

En dehors de l’immense Flea des Red Hot, il ne reste en effet pas grand-chose à se mettre sous les doigts. Moralité : écouter et ré écouter l’intro de « l’as de pique » de Motorhead… question de ne jamais perdre la main, surtout à l’entame des hostilités. A bon entendeur et bassiste convaincu … salut !



Texte : Stéphane - Licence Photo : Wikimedia Commons & Creative Commons

3 commentaires:

Anonyme a dit…

bravo Stéphane,
très intéressant, agréable à lire et sujet et angle originaux...
Merci
youz

Anonyme a dit…

Félicitations pour le sujet.
C'est exactement cela...
Perso, bassiste, j'ai joué dans 3 groupes et il est vrai que ce n'est pas simple de se mettre en avant.
Déjà le son d'une basse en salle, dans dans des bars, où dans des endroits exigus n'est pas franchement excitant (wouh..., boum, boum...). Pour me faire "entendre" un peu et d'une façon plus nette, j'ai utilisé une distorsion, du coup, un peu à la Burnel + jeu au médiator (don't worry, pas dangereux pour la santé) . Ce n'est sans doute pas par hasard que JJ a opté pour ce son. J'ai lu que les Stranglers à leur début n'avait pas, aussi, de très bons amplis, une très bonne amplification.
Avec mon groupe, je me souviens que l'on reprenait "Marlène" de Noir Désir. Sur le début c'était moi seul, qui lançait l'intro, donc le pied ! Soit, volontairement, en réduisant ou en accélérant très vite le rythme, en cours, je faisais planter quelquefois mon pote batteur. En même temps ça faisait rire dans la salle.
Vive "les bassistes of the world" et longue vie au "bass power" !

Hervé

P.S : Sinon, perso, pour les titres des Stranglers à la basse "Génétix" est très ardu, mais énormément mélodique ! (passage vers la fin où Hugh Cornwell cite la fameuse formule sur la génétique).
"Good bye Toulouse", ça groove pas mal et ça déménage vraiment...De même pour "straighten out". "Tommorrow was the hereafter", "Down in the sewer" sont très sypmpas à jouer.

FÉLINE a dit…

Et en plus JJ chante très bien ce qui ne gâche rien...