dimanche 23 juin 2013

Les Stranglers à Montréal : du tonnerre et des Meninblack

Pierre Jolicoeur, musicien, enseignant et animateur d'un blog sur la musique (http://pierrejolicoeur.com/) a assisté au deuxième concert canadien (1er juin 2013). Il nous livre ses impressions.

C'est sous un ciel bleu comme une ecchymose que nous hâtons le pas, ma conjointe et moi pour nous rendre au Théâtre Telus à temps et au sec. Un ciel menaçant concordant avec une rare visite à Montréal des Stranglers – leur septième en trente-cinq ans - et la seconde avec Baz Warnes depuis 2004.

Le prétexte?  La parution de l'excellent Giants, dix-septième album studio, et une carrière vieille de bientôt quarante ans à célébrer pour ces pionniers du mouvement punk, fiers Meninblack devant l'Éternel. Fort possible aussi que ça soit leur dernière visite en Amérique. Pour ma part, ça sera la septième fois que je les vois en trente-deux ans.

Devant le théâtre monte la garde un immense tour bus, intimidant, donnant l'impression d'occuper la moitié de la petite rue St-Denis, écrasant toute vélléité d'espace devant l'entrée de la salle. 
L'étroitesse des lieux dans lesquels on s'engouffre finit d'ajouter une impression de claustrophobie. Jadis une salle de cinéma et situé devant l'UQAM, le Telus est une salle de spectacle intime, propre et moderne, bien qu'un peu froide s'il n'est pas rempli, m'a-t-il semblé en guise de première impression.

À notre arrivée, les Hellbound Hepcats, de la région de Montréal, chauffent la salle avec leur rockabilly débridé. Efficaces et convaincants les Hepcats : on tape du pied, sirote sa bière, on flaire l'ambiance. Tout autour, j'aperçois des têtes davantage sel que poivre, comme c'est dorénavant la norme dans les spectacles rock. J'y croise un vieux copain collectionneur des singles des Étrangleurs, et ça inclut le Girl from the snow country de JJ, qui s'est payé la totale avec un billet VIP à $100. Du sérieux. « Je ne me laverai plus jamais la main droite » blague-t-il, ravi de sa rencontre d'avant spectacle avec le groupe, comme c'est maintenant aussi la norme dans le cadre d'une tournée.

À l'intermission, je fais un saut rapido à l'extérieur, histoire de m'inspirer un tant soit peu avant l'arrivée du groupe. Je n'irai pas bien loin, un orage de calibre tropical, avec roulements de tonnerre, éclairs et pluie diluvienne fouette la ville, comme pour la nettoyer des allégations de corruption qui ne cessent de la hanter ces temps-ci. Disons qu'il y a de l'électricité dans l'air sous l'égide des hommes en noir.

Les médias québécois se sont intéressés au passage des Stranglers dans la semaine précédant le  spectacle. 
Même le journal La Presse, habituellement indifférent au groupe, y allait d'un bon papier dans son édition du jour. Idem pour le journal gratuit Metro, ainsi que la Montreal Gazette qui, elle, couvrait déjà le groupe en 1981. Mais cette fois-ci, même la radio publique s'est mise de la partie en interviewant JJ (à mi-chemin dans l'émission diffusée le 5 juin) sur l'art de vieillir chez les rockers pour son émission musicale « PM ». C'est dire. Moi qui suit le groupe depuis 1978, et  de très près depuis 1981, je n'ai jamais vu autant d'intérêt des médias québécois pour eux. Ça fait changement.

Dans les minutes précédant le spectacle, devant nous, de jeunes fans trentenaires éméchés s'interrogent et supputent quant à l'identité de « Jet Black », et « C'est lequel, Jet Black? ». Ils semblent manquer totalement d'informations sur le groupe. Évidemment, Jet n'a pas fait le voyage, mais je me garde bien de ruiner leur soirée. Hé hé.


21h15 :  Dave, Baz, JJ et Jim, le remplaçant de Jet, montent sur la scène noyée de bleu sur l'air (dorénavant traditionnel) de Waltzinblack, sous l'approbation de la foule. 
L'entrée en matières est costaude, le grondement de la basse donne le ton pour le début des hostilités et le groupe assure. Toiler On The Sea, Goodbye Toulouse, Grip, la livraison est pour le moins musclée.

J'ai rarement autant ressenti et compris l'importance et la prépondérance de la basse de JJ que ce soir. Je la reçois direct dans le plexus, et puis elle me tombe dans les hanches. Tout le monde autour danse et trépigne : impossible de tenir en place.

Devant nous, nos vieux ados imbibés se font un mosh pit, les verres de bière se répandent sur le plancher, les corps se repoussent, glissent, bref, bonjour l'instabilité! Mais bon. C'est un show des Stranglers, que diable, il faut bien s'amuser...

La scène est petite et basse, et on a les musiciens en pleine face.
JJ bouge un peu, mais beaucoup moins qu'avant, ce qui est certainement une conséquence de sa récente opération au genou. Il se voûte un peu, esquisse un pas de danse, mais revient vite au garde-à-vous, impassible. Il dégage une impression de détachement, sinon d'ennui pour la majeure partie du spectacle, à de rares exceptions près.

Pour un vieux fan comme moi, je devine qu'il est dans sa bulle. Pour ma conjointe qui voit le groupe pour la première fois, JJ donne l'impression d'être au boulot. Je comprends l'impression, mais à la limite, je m'en balance. Instrument viscéral ici, la basse envahit mon corps et mes jambes, et c'est sur elle que je me déhanche. La basse de JJ est le ciment et l'âme des Stranglers.

Après Grip, Baz prend le temps de saluer la foule une première fois et de parler de l'orage qui sévit, et propose de faire lever le plafond en attendant. À l'opposé de JJ, Baz prendra le plancher et sera généreux de sa présence tout au long du show. Il occupe de grands souliers, le Baz, en tant que chanteur-guitariste du groupe, et il s'acquitte fort bien de sa tâche. Il pourrait parfois en beurrer moins épais à mon goût dans ses grimaces, mais il reste néanmoins un guitariste beaucoup plus fluide que Hugh n'ait pu être, et il est bien plus à sa place comme interprète que Paul Roberts ne l'était. Et il a une sacré tête d'étrangleur. J'aime bien Baz.

Suivront Norfolk Coast et Freedom Is Insane, la première qu'entonnera JJ. Alors que l'on s'attend  toujours à ce qu'il nous fasse un brin de causette à chaque visite à Montréal c'est, plus souvent qu'autrement, le contraire qui arrive. Ses interventions en français sont minimales.
La suivante, Peaches sera la seule qu'il nous présentera avec un pertinent « C'est bientôt la saison... » avant d'entamer une des lignes de basse les plus mémorables de l'histoire du rock.


Quant à Dave, caché derrière ses synthés, il parait très à l'aise, enfilant les rasades de bière d'une main tout en assurant les solos de l'autre, l'air au dessus de ses affaires. Bien qu'à quelques occasions mes oreilles se sont demandés ce qui se passait harmoniquement, tel un flottement, un décalage entre ce qu'il jouait et le reste du groupe. Je ne m'explique pas cette impression, puisque le mixe de la sono était très correct. Mais Dave a l'air content d'être là, c'est toujours ça de pris. Curieusement, je cherche mais ne voit  nul trace de son éternel ventilateur de scène.

Jim MacCauley, en remplacement de Jet aux peaux, joue solidement et fiablement, sans jamais faillir. Il n'a peut-être pas la finesse de la touche de Jet, mais la frappe, et surtout l'énergie, sont constantes. Il livre la marchandise.

On aura droit essentiellement au même set list qui a prévalu durant la tournée anglaise de mars dernier. Outre les essentielles de Rattus Norvegicus, et les plus récentes Relentless, Mercury Rising et Time Was Once On My Side, on a pu entendre les incontournables des années '80 regroupés en milieu de peloton : Golden Brown, Always The Sun, Skin Deep; Walk on by a suivi dans la foulée, avec ses solos écrits et joués à la note près.

Encore une fois, les Stranglers ont démontré une exécution des plus serrée, très tight, techniquement irréprochable, mais ont offert un programme musical somme toute trop prévisible, ne loupant (presque) rien de leur fabuleuse carrière, hormis un haro total sur les albums Meninblack et Feline. J'aurais bien pris Waiting For The Meninblack, par exemple, ou encore European Female ou The Raven. Dommage.

À leur dernier passage en ville en octobre 2004, Dave m'avait avoué à son arrivée dans le lobby du Sofitel où j'attendais le groupe après leur prestation, qu'ils étaient sur un décalage horaire majeur, et qu'ils en étaient à leur troisième continent en 24 heures. Ce qui expliquaient alors une certaine baisse de régime en entamant le deuxième tiers du spectacle, tout en conservant leur exécution musicale de calibre chirurgical.

Cette fois-ci, les Stranglers ne donnent aucun signe de ralentissement, étant déjà sur le continent depuis quelques jours.  C'est un groupe en pleine possession de ses moyens que nous avons devant nous, et qui livre sa musique tel un boxeur qui nous tabasse dans les côtes. La foule est sonnée, mais contente.

En guise de rappel : Hanging Around et Tank, la première aussi louvoyante et intense qu'en 1977, alors que la seconde et bien nommée nous passe sur le corps et laisse pantois. En un peu moins de deux heures bien tassées, le public montréalais a eu droit à toute une leçon de rock de la part de musiciens que l'on donnait pour trop vieux déjà en 1977!


Et c'est à la toute fin seulement, au moment de quitter la scène que JJ a remercié la foule en français, discrètement, pour  l'accueil et... pour la pluie.

En quittant les lieux, l'orage était du passé et j'en ai profité pour saluer un autre VIP qui n'en revenait pas de ce qu'il venait d'entendre et de vivre. J'ai glissé un peu malicieusement que j'avais serré la pince à Dave, Baz et à JJ en 2004, et que JJ m'avait même mordu à l'avant-bras en 1993, sans que ça ne me coûte un seul sou noir! Ses yeux écarquillés m'ont bien fait rigolé. Que voulez-vous, il faut bien que la légende des Stranglers se propage à Montréal...

1 commentaire:

nathalie a dit…

très bel article , belle description des membres du groupe sur scène , merci