Chers amis, avant de clore ce premier semestre, j'ai pris l'initiative d'écrire un article au sujet des 50 ans du groupe.
Cet article n'apprendra rien aux fans de la première heure, voir à ceux d'après minuit ! Mais au vu des milliers de visites reçues par notre site et en tenant compte de cet anniversaire, il convenait de donner un texte de type biographique aux fans des Stranglers. Ce témoignage relativement "court" et très personnel est donc forcément subjectif. Je l'assume pleinement et par avance, merci pour votre compréhension ! Ici, sur ce blog, tous les avis sont les bienvenus. Et notamment ceux des fans les plus récents qui cherchent à mieux connaître les origines du groupe. Cet article servira aussi à cela.Ce blog que j'ai lancé depuis maintenant une douzaine d'année, est avant tout un espace ouvert aux fans. Avec le soutien constant de JJ, nous avons pu à notre rythme proposer régulièrement des informations parfois un peu décalées mais toujours proches de la source première, à savoir les Stranglers. C'est bien là l'essentiel. (Et encore merci pour votre soutien.)
Nous reprendrons nos travaux fin aout avec en perspective, la future tournée française et européenne du groupe. D'ici là nous nous croiserons probablement sur un festival .... (Pour moi ce sera Dinard, ma ville natale !)
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THE STRANGLERS : 50 ans de carrière !
Les vikings savaient voir loin. Un volatile en particulier leur servait de jumelles pour explorer les rivages les plus lointains : le corbeau. Un oiseau particulièrement intelligent qui, dans la symbolique des mythes du grand Nord, est fréquemment représenté par deux spécimens, assis sur les épaules du dieu Odin. Connus et réputés pour rapporter tout ce qu’ils voient et entendent, ces inquiétantes bestioles aux plumages charbonnés décoraient également les voiles des redoutables drakkars de leurs maîtres. Mille ans plus tard, un superbe corbeau en trois dimensions ornera la pochette de l’album considéré comme l’un des plus célèbres des Stranglers. Avec la sortie de « The Raven » en 1979, les vents du nord pousseront paradoxalement le groupe à rompre les amarres avec les cotes de granit.
Voir loin, explorer au grand large et toujours revenir à bord, telles sont les caractéristiques que partagent les Stranglers avec cet oiseau de mauvaise réputation. Cela tombe bien, car nos quatre musiciens habillés tout de noir, eux aussi, sont détestés de tous.
Car, autant le dire sans détour, les Stranglers n’avaient, à leur début, pas grand-chose pour eux ! Rien ne pouvait indiquer que ce groupe hors norme puisse émerger au sein d’une scène musicale dont ils étaient des pièces rapportées aussi douteuses que mal embouchées. Plus âgés, diplômés et particulièrement cultivés, les quatre musiciens ne baissaient de surcroît jamais les yeux, surtout lorsqu’il s’agissait de serrer les poings. Physiquement, on ne se frottait pas à eux, ni au Finchley Boys, bande du nord de Londres qui leur servait de service d’ordre. Car les temps sont durs, violents. Dans la grisaille économique du milieu des années 70, les Stranglers comme bon nombre de leurs congénères ne respirent pas vraiment l’optimisme et la bonne humeur.
Il faut dire que l’Angleterre va mal. L’état providence du vieux Callaghan se fissure et au grand large, le pays perd définitivement son statut de super puissance. La situation s’aggravera encore avec ce que les autorités qualifient alors pudiquement de « troubles » du côté de Belfast. Entre l’inflation qui creuse des trous dans les frigos, les longues files d’attente devant les Jobs Center et les bombes des copains de Bobby Sands, le climat social ne prête pas vraiment à sourire ! Joe Strummer en parlera mieux que quiconque du fond de son squat de Ladbroke Grove pendant que le jeune leader des Jam immortalisera avec rage et talent l’union sacré du drapeau et de la culture ouvrière. En 1977, « L’hiver du mécontentement » aura la suite que tout le monde connait. Margareth n’attendra pas Billy Elliot pour devenir célèbre !
Sur le plan musical, le progressive rock entame son reflux quand inversement la vague disco s’apprête, par une réaction en chaine d’ordre quasi-nucléaire, à conquérir les ondes de la planète. New York exportera bientôt son punk rock via le très opportuniste Malcom Mac Laren qui entre deux pochoirs et quelques épingles à nourrices décide lui aussi de monter son propre boy band, à savoir les Sex Pistols.
Au milieu de toute cette agitation qui voit l’étendard de l’Union Jack prendre quelques mauvais plis, un dénommé Brian Duffy alias Jet Black, futur batteur des Stranglers, se décide quelques années plus tôt à monter un groupe. Avec déjà presque quarante annuités au compteur et une boutique de spiritueux à gérer, celui qui a touché au jazz quelques années plus tôt va s’associer à un grand échalas, étudiant rapatrié de Suède, qui s’appelle Hugh Cornwell. Le chant et une guitare Telecaster lui seront réservés. Le talent mérite un peu de matériel.
Ce dernier, par un hasard qui ne tient peut-être pas qu’à une simple partie de dés, prendra en stop quelque temps plus tard un jeune franco-britannique né à Londres de parents normands et restaurateurs du côté de Godalming. Un froggy universitaire qui a appris la guitare classique et qui entre deux séances de karaté envisage sérieusement de partir au Japon. Jean-Jacques Burnel rangera finalement son kimono dans son sac pour récupérer la basse vacante du futur groupe en construction. L’utilisation de cet instrument dont il fera un usage martial à part entière définira très vite le son et l’armature des compositions du groupe. Accompagné quelques temps par un musicien multi-instrumentiste, le groupe répète et tourne régulièrement dans le circuit des pubs locaux. Le 11 septembre 1974, Jet Black déposera et enregistrera officiellement le nom du groupe : The Stranglers.
Pour compléter la formation suite au départ d’Hans Warmling, un claviériste autodidacte à moustache sera recruté en juillet 75. Dave Greenfield abandonne ainsi sa guitare pour apporter aux « étrangleurs » cette couleur musicale qui voit se mélanger sur une même palette les Kinks aux Doors, Love aux Yardbirds, Can à Kraftwerk. Le châssis du groupe est posé, seules quelques cylindrées seront rajoutées au moteur afin de faire rugir plus fort sur scène les émules du Dr Feelgood et de Jim Morrisonn !
Car avec le punk tout le monde accélère le tempo pour le meilleur comme pour le pire. Les guitares tronçonnent et les batteurs pilonnent dans un joyeux bordel qui donne priorité à l’intensité du moment. Le punk rock malaxe avant tout les tripes, sans ménagement pour les tympans qui sont invités à suivre. Dans ce registre aussi spontané que jubilatoire, certains groupes émergent plus que d’autres. Les Clash, les Buzzcocks, les Damned avec un certain Captain Sensible ou les quatre irlandais de Stiff Little Fingers compteront parmi les plus talentueux.
Les Stranglers feront également partie de cette scène qualifiée de punk mais sans chercher vraiment à l’être. Avec leurs cheveux courts et leur garde-robe de croquemort, les Stranglers impressionnent avant tout sur scène par leur cohésion et la qualité de leurs chansons. Avec un nom de groupe qui marque les esprits et un pedigree culturel au-dessus de la moyenne, les quatre musiciens communient dans le sang, la sueur et les crachats d’un public toujours plus nombreux à les suivre.
Malgré une réputation de durs, peu commodes à approcher, et un écho médiatique peu flatteur pour ne pas dire hostile, ils parviendront, après avoir essuyé le refus de 24 compagnies de disques, à signer un premier contrat chez United Artist. Nous sommes en 1977 et la première rafale musicale des Stranglers prendra la forme d’une double livraison espacée de moins de six mois. Le premier album qui s’intitule « Rattus Norvegicus » aligne déjà plusieurs hits dont le fameux crypto-reggae « Peaches » et sa légendaire ligne de basse. Le son unique de celle-ci couplé aux envolées d’orgue de Dave Greenfield définit déjà ce qui demeurera l’empreinte musicale du groupe. Personne ne jouait ainsi de la basse. Véritable nunchaku sonore sur scène, elle charpente et cimente tout l’édifice créatif du groupe. Il y aura clairement un avant et un après JJ Burnel ! Le disque jumeau sorti la même année, « No more heroes », confirme la tendance. Au chant, Hugh Cornwell s’étrangle de rage mais laisse déjà poindre quelques velléités à pratiquer le chant sur un ton plus suave, voire à adopter un phrasé qui le rapprochera ultérieurement de Lou Reed. A la guitare, il alterne le registre solo ou rythmique et laisse une grande place aux claviers dont il estime que son propre jeu participe à l’embellissement de ces derniers. Quant à la batterie, Jet Black assure un jeu sobre qui sans jamais forcer le bras propose une frappe subtile qui ne correspond en rien à son physique d’ours mal luné. Fan de Buddy Rich et de Count Basie, il connait ses classiques. Le jazz est passé par là.
Les ventes sont rapidement massives et tous leurs singles se logent au sommet des charts. En 78, l’album suivant « Black and white » annonce paradoxalement la couleur ! Zéro concession à quiconque, un son encore plus puissant et des thèmes plus variés que sur les deux premiers albums font de ce disque un élément clé et/ou charnière de leur discographie. La pochette restée culte fera dire à Eric Naulleau, fan absolu du groupe, que c’est encore aujourd’hui la plus belle pochette jamais sortie ! Aussi cérébral que physique, l’enregistrement du disque transpire l’angoisse d’une époque marquée par les affres de la guerre froide. Au passage, le grand écrivain japonais Yukio Mishima sera évoqué dans « Death and night and blood », subtile manière de rappeler que derrière les muscles, demeure le goût des grands auteurs, seppuku compris. Avec l’apport des synthétiseurs et des textes à lecture multiple, les Stranglers confirment leur état de groupe maudit mais incontournable. Ce troisième disque qualifié de post punk finira comme le précédent : à la seconde place du classement des ventes.
La suite sera royale. Le quatrième album qui arbore fièrement le fameux corbeau est un chef d’œuvre. Enregistré à Paris aux studio Pathé Marconni, ce disque offre de nouvelles perspectives mélodiques avec notamment une mise en relief supplémentaire des claviers de Dave Greenfield. Plus sophistiqué dans ses constructions, plus ambitieux dans ses thèmes et ses textes, le groupe livre le disque quasi-parfait. Epique avec « the Raven », tubesque avec « Duchess », complexe avec « Genetix », intime avec « Don’t bring Harry », la complicité créative du duo Cornwell/Burnel atteint des sommets. Moins austère et plus expérimental que le précédent, l’album rentre directement à la 4ème place du top 40 (une erreur de comptabilisation des ventes l’empêchant d’atteindre la première place !). En 81, le groupe enchaîne avec un véritable ovni sonore. Un trip post biblique mal compris qui fait figure d’ancêtre au concept hollywoodien des Men in black. « The Gospel According to the Men in black » est un disque ambitieux et difficile car construit sur des rythmes alambiqués, des voix déformées et des boucles répétitives et parfois entêtantes. L’apport des premiers synthétiseurs sera alors mis au service d’une créativité sans limite. Cet étrange évangile musical servi en guise de théorie conspirationniste biblico-spatiale connaîtra un succès très relatif. Aujourd’hui, les avis sont différents. Certains parlent même de chef d’œuvre, avis partagé par Cornwell et Burnel en personne.
En fin d’année, le groupe change radicalement d’ambiance avec la sortie du célébrissime album « La Folie », disque moins tortueux, plus pop et surtout plus abordable que le précédent. De cette livraison hivernale, sera extrait le méga-tube « Golden brown », où l’histoire d’une valse au clavecin fait écho à certaines substances défendues… Dans la foulée, les Stranglers sortiront en guise de mauvaise farce à leur maison de disques un single culte déclamé en français par un JJ Burnel plus inspiré que jamais. « La Folie » raconte l’histoire sordide et réelle d’un étudiant japonais cannibale qui passe à l’acte en mangeant une étudiante !
Au début des années 80, le groupe change de maison de disque et signe chez CBS. Les Stranglers déposeront dans le landau de la nouvelle mariée quatre disques dont deux d’entre eux leur permettront d’ouvrir plus largement les portes des charts européens. Il y a aura d’abord « Feline » et son ambiance feutrée portée par l’omniprésence de la basse et les canevas synthétiques de Dave Greenfield. Tout à son affaire, Cornwell et sa guitare exclusivement acoustique parachèvent l’œuvre au noir de sa voix à la fois sensuelle et plaintive. Disque d’or en France, les Stranglers accompagneront ce succès d’une double tournée qui fera frémir un nouveau public relativement profane et peu habitué aux frasques du groupe sur scène. La suite donnée à la célèbre panthère noire se déclinera comme un hommage à la soul et au rythme blues avec en guise de visuel, une oreille géante prête à vibrer autant sur Marvin Gaye que sur les Blues Brothers ! Si « Aural Sculpture » connaîtra un succès mitigé, il n’en sera pas de même avec le suivant, sorti en 1986 et intitulé « Dreamtime ». Tracté par un single parfait, « Always the sun », cet album considéré comme plus pop ou plus facile à aborder recevra un accueil triomphant de la part d’un public désormais de plus en plus nombreux.
Pour clôturer leur passage chez CBS, le groupe assagi et enfin reconnu pour son talent sortira trois ans plus tard l’album « Ten » qui, malheureusement, annoncera aussi la fin du voyage, du moins avec l’équipage du début. Mal ou sur-produit, le disque, malgré quelques bons titres, indique un début d’impasse créative. Le duo Cornwell/ Burnel ne fonctionne plus. Les deux leaders qui se supportent de plus en plus difficilement ont profité de leurs temps libres pour se mettre chacun à leurs comptes le temps d’un album solo. Sans succès probant au demeurant.
Durant l’été 90, le départ surprenant mais finalement prévisible de Cornwell plongera le groupe dans un profond désarroi. Le recrutement d’un jeune chanteur permettra de prolonger le voyage pendant au moins quinze ans. Si Paul Roberts dynamise le groupe sur scène, son intégration n’apportera pas grand-chose sur le plan artistique sauf à vouloir transformer le groupe en cabaret ambulant. Avec l’apport supplémentaire et définitif de John Ellis (ex Vibrator), le groupe joue désormais à cinq sur scène. Avec sa guitare stratocaster (sacrilège !), le nouveau venu sautille dans son jogging sans apporter la moindre valeur ajoutée au sein du groupe.
Les puristes approuvent très moyennement l’évolution musicale en cours mais le groupe est toujours là. Pour autant, sur le plan artistique, JJ Burnel ne répond plus, Dave Greenfield s’ennuie derrière ses claviers pendant que Jet Black, faute de mieux, trie consciencieusement les archives du groupe. Cette époque terne qui malgré tout ne décourage pas les fidèles éloigne inversement les nouveaux initiés. La presse est impitoyable, les ventes chutent, les jauges se réduisent… Quatre disques sans grand intérêt passeront par là.
Il faudra attendre l’année 2004 et la sortie de l’excellent « Norfolk coast » pour voir le groupe prendre à nouveau rendez-vous chez Pierre Soulages. Centré autour du retour du roi, JJ Burnel en personne reprend le gouvernail et remet le drakkar à flot. Au chant, exit le clone de Michael Hutchence, et fin de CDD pour le guitariste en survet : les Stranglers repartent à quatre avec dans leurs filets un dénommé Baz Warne qui partage les voix avec JJ Burnel tout en jouant, lui, sur une Telecaster. Suivront jusqu’à aujourd’hui trois autres disques qui recevront tous un excellent accueil tant du côté des médias que du public. Le dernier « Dark Matter » sorti en 2021 grimpera même jusqu’à la quatrième place des charts britanniques, meilleur classement depuis « Feline » en 83. Avec succès, la recette d’origine est remise au goût du jour. Baz Warne avec son énergie et son enthousiasme ressoude le groupe et permet à son leader qui est désormais installé en France, de forger à nouveau des lignes de basse agressives et mélodiques.
Entre temps, le covid terrassera Dave Greenfield et Jet Black tire sa révérence le 6 décembre 2022. Avec les nouveaux, Toby Hounsham aux claviers et Jim McCauley derrière les fûts, les Stranglers continuent leur chemin. Les temps anciens, celui des bagarres, des provocations ou des menaces est bien loin. Cette année, les quatre hommes en noirs fêtent leur cinquante ans de carrière ! Jean-Jacques Burnel a déjà resserré la ceinture de son kimono (7e dan) et préparé sa valise. Le temps de la valse en noire qui ouvre tous leurs concerts est déjà programmée.
Il ne nous reste plus qu’à guetter le retour sur nos terres de leur volatile de prédilection. En octobre prochain, le ciel sera noir…
Stéphane
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- 50 YEARS IN BLACK : Londres, le 26 mars 2024
2 commentaires:
Très beau texte.
Malheureusement je ne suis pas d'accord concernant Paul Roberts et John Ellis.
Ils ont apporté des choses au groupe, malgré la période difficile.
Les albums In The Night et Written in Red sont de très bons albums.
Coup de Grace est un album fade.
J'ai travaillé sur la tournée Suite 16 en 2007, le succès n'était malheureusement pas au rendez vous, salles à moitié vide excepté à Lille et Nice. Jauge moyenne 600.
Bel article Stéphane. Merci
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