mardi 7 avril 2015

(Une interview d'...) Andrew Lauder, l'homme qui a signé les Stranglers

A la mi-1976, grâce à l'acharnement d'Albion Management et à leur réputation croissante de groupe live, les Stranglers ont attiré l'attention de directeurs artistiques de plusieurs maisons de disques. A l'avant de la course pour les signer, il y avait un jeune DA de United Artists, Andrew Lauder qui avait une oreille passionnée pour toutes les nouveautés musicales. Alors qu'il avait déjà signé plusieurs groupes importants, il a tenu à signer un des leaders de l'explosion new wave d'alors. 

Fête organisée pour la signature au 100 Club-Andrew Lauder est le 2e à partir de la droite

[à suivre, la traduction extraite de l'interview parue sur le site officiel anglais de 06/2012.]



Ayant été un fan de différents genres de musique, qu'est-ce que vous avez pensé de l'explosion punk ?
Une fois que j'ai dépassé la violence durant les concerts, j'ai pensé : "On a besoin que ça arrive." Probablement parce que Dr Feelgood était une sorte de compromis, qu'un ami avait signé Eddie and the Hot Rods et que Chiswick avait les 101'ers, j'ai pensé que tout ça amenait au punk. C'est le passionné qui parlait.

A quel moment avez-vous entendu parler des Stranglers ? est-ce que c'était à travers Albion ?
Oui, définitivement. Je connaissais Dai [Davies, manager des Stranglers avec Derek Savage] à travers Brinsley Schwartz même si je l'avais rencontré en premier lieu quand il était attaché de presse. On s'est toujours bien entendu. Il a pris l'initiative en me disant : "On a ce groupe et tu vas les aimer." C'était à peu près au début de l'année 1976.

Pour attirer l'attention sur le groupe, Hugh dessinait souvent des bandes dessinées de leurs cibles dans le milieu musical.
Est-ce que vous avez reçu une de ces BD comme Albion en a reçu ?
Oui mais pas avant de les avoir signés.

Quand est-ce que vous les avez vus pour la première fois en concert ?
C'était à la Roundhouse mais je ne me souviens plus de quel concert il s'agissait, soit avec Patti Smith (16-17/05/1976) soit avec les Flamin' Groovies et les Ramones (04/07/1976). Il y avait aussi des concerts au Red Cow et au Nashville dont Albion faisait la programmation. J'étais un peu désorienté au moment de l'arrivée du punk parce qu'ils ne s'inséraient pas vraiment dedans.

Quelles ont été vos premières impressions sur eux ?
J'ai pensé : "Ces gars peuvent jouer, ils écrivent des chansons et sont brillants. Ce ne sont pas des guignols. Ils viennent de quelque part musicalement et ils savent ce qu'ils font."


L'affiche du concert à la Roundhouse du 4 juillet 76


Est-ce que vos premières tentatives de les voir n'ont pas été contrecarrées par des problèmes de matériel ?
Oui, je continuais à aller les voir mais à chaque fois, c'était un désastre, l'équipement tombait en panne ou les amplis ne valaient rien. J'allais à un concert et l'ampli de JJ explosait ou quelque chose d'autre foirait mais à cause de Dai, je continuais à aller les voir.

Est-ce que Dai continuait à vous harceler avec le groupe ?
Je ne les sentais pas complètement, je lui disais : "je fais de mon mieux, Dai mais je ne le sens pas. Ça sonne un peu comme des Doors qui auraient mal tourné !." Il était tellement insistant, me pressant de venir les voir encore et encore. A chaque fois, quelque chose foirait alors j'ai fini par dire : "Ce n'est pas pour moi, Dai."

Finalement, un dernier concert a été arrangé juste pour vous par Dai et Derek, dans leur salle de répétition, avec du matériel loué. Qu'est-ce que vous avez pensé quand vous les avez entendus à plein régime, sans qu'ils soient gênés par un mauvais matériel ?
Dai m'a téléphoné et m'a dit : "Allez, une dernière fois. Je vais retenir un studio, on louera du matériel correct pour que tu puisses entendre les chansons. Si tu n'aimes, je ne te dérangerai plus." Alors j'y suis allé et il n'y avait que moi, ce que je n'ai pas aimé faire parce que je me sentais un peu emprunté. Je pensais qu'ils allaient jouer juste pour moi et qu'est-ce qui se passerait si je n'aimais toujours pas. C'était un peu inconfortable.
Mais évidemment, j'ai aimé et j'ai pensé : "Mon dieu, je n'avais aucune idée que c'était si bien !" Chaque morceau était mémorable et accrocheur. Avant même d'avoir quitté la pièce, j'ai dit qu'on devait le faire. Eureka, j'avais enfin compris, principalement grâce au harcèlement de Dai, et je suis vraiment heureux qu'il l'ait fait.

Après leur showcase, combien de temps cela a-t-il pris pour que vous les signiez ?
Ça a été vraiment rapide, j'ai dû le faire de suite. Ça s'est fait simplement parce que c'était Dai et qu'il connaissait tout le monde dans le maison de disques. A l'époque, les choses changeaient très vite. Chaque semaine, il y avait un nouveau scandale impliquant un groupe punk, les Clash étaient le groupe de la semaine, puis c'était Generation X...

Cela voulait-il dire qu'il y avait une pression pour signer un groupe punk à United Artists ?
Non, pas vraiment. Il n'y avait pas de pression à part pour le fait de devoir vendre suffisamment de disques pour payer les factures. UA avait déjà sorti le single des Damned via Stiff, alors on était présent en quelque sorte. J'avais un a priori négatif sur le punk. Je connaissais Nick Kent [un journaliste anglais qui avait été attaqué par Sid Vicious] qui avait été battu par un Sex Pistol et je pensais : "C'est un fan de musique inoffensif, laissez le tranquille."
C'était tellement nouveau à l'époque, il y avait quelque chose qui se passait et vous ne pouviez pas vous empêcher de vous y intéresser. J'étais ami avec le chef du département artistique de CBS et il se vantait d'avoir signé les Clash. A peu près au même moment, j'ai signé les Stranglers. Il m'a téléphoné pour m'annoncer l'entrée dans les charts du premier album des Clash à la 12e place. Une semaine après, je lui ai rendu la pareille avec Rattus et il a dit : "Numéro 4 ! comment es-tu arrivé à faire ça ?" Ça a été un moment merveilleux.
Il s'agissait juste d'être un fan. Si le disque des Clash sortait, je voulais l'entendre ; pareil avec les autres groupes, si un single sortait, je voulais l'entendre. Que ce soit les Lurkers ou n'importe qui.


Est-ce que vous avez été surpris par la rapidité du succès des Stranglers, de la première partie de Patti Smith à la Roundhouse à cinq nuits consécutives dans la même salle, un an et demi après ?
Oui, je pense que tout le monde a été réellement surpris. Quand vous vous enthousiasmez pour quelque chose, ça ne va jamais assez vite. Mais avec le recul, c'était assez surprenant, les choses sont arrivées très vite. L'intérêt en Europe a également été étonnant, sans doute parce que les Stranglers étaient assez musicaux. Les gens qui ne pouvaient pas se relier aux autres groupes, se trouvaient des affinités avec les Stranglers. Ils avaient beaucoup joué et savaient ce qu'ils faisaient, ce qui faisait une grande différence pour des pays comme l'Allemagne, la France ou l'Italie qui ne pouvaient pas se trouver d'affinité sociologique avec les Sex Pistols ou les Clash.

Vous avez également signé les Buzzcocks ou 999 chez United Artists, y a-t-il d'autres groupes dans le mouvement punk qui vous ont échappé ?
Avec les Buzzcocks, ça n'a pas été si facile. J'aimais leur premier EP, mais au moment où on s'est intéressé à eux, leur chanteur Howard [Devoto] est parti. Comme je viens du nord-est, j'avais envie de signer un groupe du nord. J'ai gardé un oeil sur les Buzzcocks, même si je pensais que sans Howard, ce ne serait plus pareil. Ce qui est encore plus étrange, c'est qu'il est devenu leur manager. J'ai persisté parce qu'il n'y avait personne d'autre dans le nord à ce moment, à part Slaughter & the Dogs que je trouvais un peu limités.
Je suis allé à L'Electric Circus [club de Manchester] pour voir les Buzzcocks avec Penetration, John Cooper-Clarke et Joy Division quand ils s'appelaient Stiff Kittens. L'atmosphère était différente par rapport aux concerts londoniens et en tant que supporter de football, je trouvais que c'était un peu un mélange de public de musique, de foot et de gens du nord. Une atmosphère totalement différente.
J'ai eu quelques réunions à propos de Siouxsie & The Banshees mais c'était au même moment où je voulais les Buzzcocks et j'ai décidé de n'en garder qu'un. On s'est intéressé brièvement aux Sex Pistols après leur départ d'A&M, aussi, une nuit j'ai eu une réunion avec [leur manager Malcolm] McLaren. Pendant un court moment, et bien qu'ils aient été tristement célèbres pour être assez durs, je me suis dit que je pouvais le faire. Puis j'ai réalisé que ça allait être l'horreur, particulièrement parce que les Stranglers allaient détester ça. Je lui ai téléphoné le lendemain pour lui dire non mais pendant cinq minutes, ça m'avait paru une bonne idée !

Peu de temps après que le groupe ait rencontré le succès, au début de l'année 77, vous avez quitté UA pour vous consacrer à d'autres projets. Pensiez-vous que vous étiez allé jusqu'au bout de ce que vous pouviez faire pour la maison de disques ? 
Non, je ne voulais pas m'en aller. J'avais entendu dire qu'EMI allait acheter Liberty/UA et je ne voulais pas travailler pour eux. Je suis parti et ai monté Radar Records ; je voulais prendre une partie des groupes avec nous, dans la mesure où on se sent responsable d'eux. Une des choses les plus dures a été de laisser les Stranglers, les Buzzcocks et Dr Feelgood derrière. C'était dur mais je ne voulais vraiment pas travailler pour EMI.

Avec le recul, quelle a été votre signature préférée ?
C'est une question difficile parce qu'il y a eu beaucoup de groupes différents à des moments différents. The Groundhogs ont été les premiers dont je me sois occupé entièrement. Hawkwind a été un bon souvenir, ils étaient complètement décalés et puis, on a eu un hit avec "Silver Machine". C'était marrant ! The Feelgoods aussi, j'aimais ce qu'ils faisaient musicalement et le R&B et le blues ont toujours été mes musiques favorites. Les Stranglers, énormément. Les Buzzcocks, je les aime beaucoup. A Radar, ça a été Elvis Costello et Nick Lowe. Puis les Stone Roses sur Silvertone avec qui j'ai connu des hauts et des bas.

Avez-vous vu les Stranglers récemment ?
Je les ai vus à Cannes en septembre l'année dernière [2011]. C'était super, ils étaient vraiment bons. Il y avait plein de monde. Baz a l'air vraiment bien et je l'aime beaucoup. Je l'ai rencontré et quand je me suis rendu compte qu'il était de Sunderland, on s'est vraiment bien entendu. Il est arrivé au bon moment pour entretenir la flamme. C'est toujours un groupe important.

Est-ce que vous avez en projet d'écrire vos mémoires, vu que vous avez eu une carrière longue et variée à l'intérieur du monde de la musique ?
Je suis en train de le faire, j'ai déjà commencé. C'était ma résolution de nouvel an de m'y mettre. Repenser à ce que j'ai vécu dans la première moitié des années 60 autour de Denmark Street, une très petite aire mais incroyablement importante pour la scène de l'époque. J'aimerais apporter mon témoignage sur cette époque. On ne réalisait à quel point c'était important, à ce moment.

Est-ce votre déménagement dans le sud de la France vous a mis à l'écart de la musique ?
Je suis toujours excité par les nouveautés et des amis qui sont toujours dans l'industrie m'envoient des tonnes de CD ce qui me permet de me tenir au courant. J'en suis venu à apprécier mon travail dans le monde de la musique en m'en distançant un peu et en venant vivre dans le sud de la France. Ça m'a permis de mettre les choses en perspective.

Andrew Lauder aujourd'hui 


Crédit photos : 
- signature au 100 club : Alan Edwards 
- Andrew Lauder aujourd'hui : Andrew Lauder

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