lundi 9 mars 2015

Interview d'Ed Kleinman, ex-manager des Stranglers

Tour-manager de la première tournée nord-américaine en 1978 puis manager entre 1980 et 1982, l'américain Ed Kleinman est celui qui a présidé au changement de label des Stranglers en 1982 (d'EMI à Epic/CBS). Ed a sorti en 2013 un livre de souvenirs intitulé "Joint Venture, a backstage rock'n roll journey" malheureusement pas traduit en français, dans lequel il revient sur son travail pour les Stranglers et pour d'autres.

Quand il prend les rênes du management en 1980, le groupe est en pleine tourmente ; les finances sont au plus bas, ils viennent de connaître la prison à Nice et la sortie du 5e album a pris beaucoup de retard. Sous l'impulsion de leur nouveau manager, le groupe fait deux grandes tournées aux Etats-Unis (octobre-novembre 1980 et avril-mai 1981), trois tournées britanniques, sort deux albums "The Gospel according to the Meninblack" et "La Folie" et connaît un tube (quasi) planétaire qui sauve leur carrière ("Golden Brown"). Ayant débuté dans la musique en 1966 comme roadie, Ed a également eu l'occasion de s'occuper d'Elephant's Memory (le groupe qui accompagne Yoko Ono et John Lennon, à New York) et de John Cale.

Le blog français a souhaité lui poser quelques questions sur son travail pour le groupe et pour d'autres et Ed a gentiment accepté.


Du Blanc et Noir à La Folie... les Stranglers

Vous avez travaillé comme tour manager sur la première tournée américaine de 1978, comment les Américains regardaient-ils les groupes punks anglais en 78 ?
C'était très amusant. Je n'avais aucune idée de qui ils étaient à part un groupe britannique qui venait tourner aux Etats-Unis pour la première fois. Comme je n'allais pas tarder à l'apprendre, ils aimaient bien se foutre de la gueule des gens. J'ai fait mon travail et j'ai beaucoup ri des choses qu'ils ont dit pour essayer de m'énerver. Je les voyais comme des Monty Python punks ou new wave. En ce qui concerne le public, ils ont très vite vu et entendu à quel point les Stranglers étaient bons et la plupart des concerts étaient complets. Je tire mon chapeau aux tourneurs pour les avoir programmés dans les bonnes salles. Quand la tournée américaine a été finie, ils sont rentrés en Grande-Bretagne pour continuer leur tournée mondiale. Ils ne voulaient pas me prendre parce que je n'avais jamais travaillé en Europe. Ça a duré deux semaines avant qu'ils ne m'appellent et ne me disent de prendre l'avion pour Dublin et de m'occuper de la tournée. Ce que j'ai fait. J'ai dû faire du bon boulot parce que quand j'ai ouvert ma propre société de management, ils m'ont demandé de m'occuper d'eux.

Pourquoi n'ont-ils pas eu plus de succès aux USA entre 1978 et 1981, à votre avis?
Ils ne pensaient pas avoir réellement besoin des Etats-Unis. Ils ont décliné un excellent contrat pour la sortie de "La Folie" et de "Golden Brown" comme premier single aux USA. Ils sentaient qu'ils faisaient déjà beaucoup en Grande-Bretagne et en Europe, les ventes d'albums étaient bonnes, etc.

Est-ce que vous avez été déçu du manque de succès des Stranglers aux Etats-Unis pendant que vous les managiez ?
Je l'étais et je crois, encore aujourd'hui, qu'on a eu une bonne opportunité de succès avec cette proposition de contrat pour un album. Je suis parti parce qu'ils avaient refusé ce contrat. Vous en lirez plus dans mon livre "Joint Venture". Peut-être avaient-ils peur du succès ou de l'aventure. Ils sont toujours dans le coup alors tout n'a pas été perdu. Je suis content d'être toujours en bons termes avec Jet et les autres.

Vous avez travaillé avec eux sur la tournée 78 aux Etats-Unis et en Europe puis vous avez été leur manager à partir de 1980. Est-ce que vous les avez trouvé changés quand vous les avez revus en 1980 ?
Pas vraiment. A ce moment, ils comprenaient quels changements ils devaient faire pour avoir le succès qu'ils pouvaient viser en Grande-Bretagne et en Europe. Ces changements ont eu lieu quand ils ont quitté leur ancien manager et que nous avons pris la suite. On leur a trouvé de nouveaux comptable et avocat, on a réglé les problèmes avec EMI et obtenu de meilleurs papiers dans la presse. On a aussi signé un nouveau contrat d'édition plus avantageux avec EMI qui, en retour, a aidé à augmenter les ventes d'albums et à faire de "Golden Brown" un hit.

Pourquoi ce n'est pas la branche américaine d'EMI qui a sorti aux Etats-Unis "The Gospel according to the Meninblack" (sorti par Stiff) et "La Folie" (jamais sorti) ? EMI America avait pourtant publié les disques de représentants de la nouvelle vague britannique comme Kate Bush ou Dexys Midnight Runners en 1980.
On a travaillé là dessus quand j'étais encore avec eux mais ils étaient aussi intéressés par un nouveau label et bien sûr, EMI savait qu'ils se foutaient un peu de l'Amérique. Il s'est passé beaucoup de choses une fois que "La Folie" est sorti et que ça a été un succès.

Quand ils vous ont demandé de vous occuper d'eux, saviez-vous qu'ils avaient pas mal de problèmes notamment financiers ? Pourquoi avez-vous accepté de les manager sachant qu'ils avaient des ennuis ?
L'aspect financier était réparable et nous nous en sommes occupés une fois que nous nous sommes mis d'accord pour que je les manage. J'ai fait venir mon avocat des Etats-Unis et en une semaine, on a récupéré tout l'argent que le label gardait sous la main, une fois qu'ils ont compris que nous étions sérieux et que le groupe était sous contrôle. Les Stranglers l'avaient bien compris et n'ont pas fait de difficultés à faire ce qu'on attendait d'eux.


Est-ce que les membres du groupe s'intéressaient à l'aspect gestion de leur activité ? je suppose que c'était le cas de Jet...
Nous avions une relation de confiance et quand on traitait les affaires, que j'avais besoin de leur accord ou qu'ils avaient besoin d'être informés, nous nous réunissions et discutions des problèmes. Jet était très impliqué dans la vente de choses comme les T-shirts et autres objets pour les fans, pendant les tournées et en-dehors. J'ai été embauché pour aider à régler diverses choses : avoir un vrai management et choisir une maison de disques, régler quelques problèmes légaux et avoir une presse plus positive, augmenter les ventes de disques. Toutes choses qui ont été accomplies.

Quel souvenir gardez vous de la tournée 78 où vous étiez tour-manager ? Des tournées 80-81 où vous étiez manager ?
1980 : leur équipement volé après le premier concert à New York ! j'ai demandé au groupe s'ils voulaient continuer et ils ont dit oui. On les a soutenus en louant du matériel au fur et à mesure de la tournée américano-canadienne. Ça a été un travail d'équipe avec mon assistante Susan Erlichman. Elle a fait en sorte que la presse continue à venir et a tout coordonné sur la tournée, avec les agents et l'équipe technique qui se sont assurés que le groupe ait le bon matériel à chaque concert ou du moins le matériel le plus proche possible de celui qu'ils avaient perdu. Ça a été totalement un travail d'équipe et ça a marché.

Quel est votre meilleur souvenir de la période où vous avez travaillé pour eux ? Je suppose que le pire a dû être le concert de Cascais [un concert au Portugal en 1978 où il avait failli y avoir des morts...] ?
Le fait de les avoir incités à arrêter de se manager eux-mêmes et à me laisser faire. Je me suis bien entendu avec leurs comptables et avocats, j'ai vraiment apprécié de les manager. Ils savaient ce qu'ils voulaient, étaient intelligents et c'étaient parmi les meilleurs musiciens de la New Wave que j'ai vus... et j'en ai vus beaucoup.
Cascais, c'était un peu effrayant. Il y a eu une émeute et la foule nous a courus après, parce qu'il n'y avait pas assez de courant dans le stade pour faire marcher notre équipement. On a remballé le matériel sur les camions qui sont partis le mettre en sécurité. Ceux d'entre nous qui restaient se sont enfuis par l'arrière, pourchassés par des spectateurs qui réclamaient leur argent et en voulaient au groupe. On a couru dans la rue et finalement, un seul roadie a été blessé mais pas sévèrement.

Est-ce que vous avez gardé des documents, photos inédites... de cette époque?
Oui. J'ai quelques photos dont certaines sont dans mon livre, quelques T-shirts, pins, laissez-passer. Tout ça bien rangé.


Flyer pour le concert du 29 octobre 1980 à Dallas

Et les autres...

J'ai parfois eu l'impression en lisant votre livre que les artistes très connus étaient plus faciles à manager que les moins connus. Est-ce vrai ?
La plupart du temps, les artistes qui ont eu du succès et sont toujours là, sont passés par beaucoup de choses pour en arriver là et quand ils sortent de scène, ils redeviennent de vrais gens avec de vrais problèmes, pas seulement personnels mais artistiques. Ils ont appris avec le temps à surveiller leurs egos et ont compris que ce qui comptait dans leur performance, ce n'était pas seulement eux mais les autres membres du groupe. Et puis, il y en qui ne comprennent jamais et parmi ceux-ci, il y a ceux qui n'ont pas réussi et ont fini par disparaître. C'est aussi dû à de mauvais choix de labels, managers, attitude, etc.

Est-ce qu'il y avait une différence entre les groupes américains et anglais des années 70 et 80 ? Entre l'industrie du disque en Angleterre et aux USA ?
Je pense que les groupes anglais de new wave et de punk étaient plus aventureux. Quand nous avons vécu à Londres dans les années 80, nous avons entendu des groupes qui avaient des hits en Grande-Bretagne et qu'on n'entendait pas aux Etats-Unis et une année après, on les a retrouvés sur les radios américaines et en tournée. J'ai toujours pensé que les maisons de disques et les stations de radio anglaises, de même que les salles de concert, étaient ouvertes à la nouvelle musique et qu'elles avaient pris le risque de présenter quelque chose de neuf au public. Elles expérimentaient plus qu'aux Etats-Unis.

Vous avez rencontré et travaillé pour John Lennon. Comment est-ce qu'on aborde une telle star ?
Je l'ai approché comme n'importe qui dans le milieu. Je le respectais et je faisais ce qu'il fallait et ce qu'on me demandait. J'étais en admiration devant son talent, j'ai assisté à des enregistrements et ai constaté l'étendue de ce qu'il savait faire et ce qu'il voulait atteindre avec sa musique. Le respect, c'est la chose la plus importante. J'ai travaillé avec le groupe qui l'accompagnait et aussi avec lui et Yoko. Evidemment, ils étaient ce qu'on appelle des superstars mais le boulot que j'avais devait être fait et bien fait. Il y avait suffisamment de gens autour d'eux qui voulaient juste s'approcher des stars. C'est très triste qu'il soit parti. J'aurais bien aimé voir ce qu'il serait devenu musicalement, à travers la production d'autres personnes, etc.

La dernière personne pour laquelle vous avez travaillé a été John Cale mais vous n'en parlez pas beaucoup dans votre livre. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?
John était quelqu'un de très gentil, de très créatif. Je l'ai aidé à démêler ses affaires de contrat d'enregistrement, tourneur, etc. J'aurais souhaité en faire plus mais je m'apprêtais à quitter le domaine de la musique. Je me suis assuré qu'il avait un nouveau manager avec qui il se sentait bien. Je suis content qu'il soit toujours là et d'avoir passé de bons moments avec lui.




Travailler dans le monde de la musique

Vous avez arrêté de travailler dans le monde de la musique en 1984. Vous n'avez jamais regretté ?
Pas vraiment mais le seul regret que j'ai, c'est de ne pas avoir travaillé pour un artiste ou un groupe ayant remporté un Grammy Award. Si je savais ce que je sais maintenant sur le monde des affaires, j'y serais parvenu. Tant pis !

Qu'est-ce que vous avez réussi le mieux au cours de ces années de management ?
A aider les artistes à se développer. Depuis le fait d'avoir des hits jusqu'à choisir de meilleurs partenaires en affaires, etc. Ne pas les avoir volés et ne pas avoir retenu un pourcentage sur leurs revenus après être parti ce que beaucoup de managers ont fait. J'ai vu des choses, en tant que roadie ou tour manager, que je n'aurais jamais fait moi-même aux gens que j'ai managés. Je peux me regarder dans un miroir, je sais que j'ai été juste et honnête. Je sais que j'ai fait au mieux et que je n'ai pas seulement agi pour des questions d'argent mais aussi en fonction des clients et des fans.

Vous étiez assez rebelle dans vos jeunes années, en tant que ex-hippie, est-ce que vous pensiez avoir des points communs avec le mouvement punk anglais ?
Sûrement, un autre mouvement avec des adeptes et un désir de changement.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Géant ! Quand vont ils nous revenir ici dans notre pays?