mercredi 11 juin 2014
Interview de Brian Crook
Brian Crook et JJ se sont rencontrés lors de leur première journée d’école primaire et sont restés des amis proches jusqu’à aujourd’hui. Quand JJ a rejoint Hugh et Jet à Guildford, Brian a passé beaucoup de temps avec le groupe, à la fois à la maison et dans les concerts. Parce qu’ils avaient désespérément besoin de quelqu’un pour les aider avec les affaires courantes, Brian s’est porté volontaire pour devenir leur manager à mi-temps en 1975.
Brian Crook s’est occupé de la promotion et de proposer les premières démos à toutes les maisons de disques qui l’ont laissé franchir leur porte. Avec l’aide de Brian et grâce à la détermination et au dur labeur du groupe, ils ont fini par retenir l’attention de Derek Savage à Londres et les choses ont commencé à décoller. Nous avons contacté Brian pour éclaircir le rôle qu’il a joué dans les premiers temps du groupe…
Comment décririez-vous JJ à quelqu’un qui ne l’a jamais rencontré ?
Il est très loyal, si vous faites partie de ses proches, il partagera ses derniers caramels avec vous mais si vous n’êtes pas de ses proches, il faudra que vous fassiez vos preuves. Si vous montrez quelque signe de faiblesse que ce soit, il vous détruira, que ce soit physiquement (la plupart du temps) ou intellectuellement. Je devine que les conflits internes ou externes que les Stranglers ont connu à travers les années ont toujours eu JJ comme centre. Il est fort et intelligent, ce n’est pas le genre de personne avec qui s’embrouiller. Je suis allé à une de ses compétitions de karaté il y a quelques années - je pense que c’était dans le Northampton - c’était un match sans contact. JJ a été frappé de manière déloyale par un de ses adversaires et sa réaction a été instantanée. Je n’ai même pas vu son mouvement, j’ai juste vu le type à terre avec plein de sang sur la figure.
Vous connaissez JJ depuis l’école primaire et étiez au courant de sa passion pour le karaté et la moto et de son désir de poursuivre dans ces deux voies, plus qu’à titre de loisir. Qu’avez-vous pensé quand vous avez entendu dire qu’il avait abandonné ce plan et rejoint un groupe à Guildford ?
Il n’a jamais laissé tomber ce plan, il l’a juste mis en attente, la moto et le karaté étaient ses grandes passions, il n’y avait pas grand-chose d’autre qui comptait. Ça a été une grande surprise pour moi qu’il rejoigne le groupe mais, comme dans toute chose dans laquelle JJ s’implique, ça allait être fait comme il faut, jusqu’à l’excès, mais seulement au meilleur de ses capacités et à ses conditions. JJ est un perfectionniste, il ne le réalise pas vraiment. C’est juste naturel pour lui d’être le meilleur.
A l’école, JJ avait étudié la guitare classique, est-ce que ça vous a surpris qu’il ait choisi de tenir la basse dans le groupe ?
Non pas du tout. Ça lui allait tout à fait. Il avait, grâce à ses années de guitare classique, la dextérité technique nécessaire et la capacité d’utiliser la basse d’une manière que les autres avant n’avaient pas essayé. C’est un instrument puissant qui, en vérité, n’avait pas été utilisé au mieux de ses possibilités par la plupart des bassistes qui se contentaient de faire partie de la section rythmique. JJ avait un point de vue différent. Pour lui, ça devait être une partie majeure du son du groupe ainsi qu’une partie de lui-même, une extension de son propre pouvoir, la projection de son pouvoir en tant que personne. Comme vous devez le savoir, d’innombrables bassistes ont copié ou utilisé son style de jeu, il est très admiré pour ça.
J’ai managé la carrière solo de Simon Gallup des Cure, pendant 2 ans, dans les années 80. Après son départ du groupe, il avait monté Fools Dance et tournait en Europe, Simon était un grand fan de JJ. JJ a joué sur un de leurs titres, pour un EP ou un mini album qui est sorti en Hollande et en France. Simon utilise aussi la basse de la même manière, autour de la puissance, de la force et de l’énergie.
JJ a rejoint Wanderlust à l’été 1974, avant le changement de nom pour les (Guildford) Stranglers. Quand est-ce qu’a commencé votre implication dans le groupe ?
Quand ils ont déménagé à Chiddingfold. Je leur rendais simplement visite, j’assistais aux répétitions et aux concerts, je traînais juste. Tout le groupe avait l’air très concentré bien que je ne puisse dire s’ils savaient à quoi s’attendre à l’époque, à part qu’ils voulaient obtenir un contrat avec une maison de disques et faire des concerts, etc. Je suppose que c’est ce qui les a poussés à signer ce contrat de cinglé avec Safari records. Je pense que Jet était l’homme d’affaires à bien des égards. Il essayait de trouver des concerts et de susciter l’intérêt. Ils jouaient tous leur rôle à l’exception de Hans (Warmling) qui s’entraînait juste à jouer des gammes et des riffs, 6 heures par jour. C’était un gars assez gentil et il jouait vraiment bien mais il n’était pas comme les autres, il n’allait pas avec le groupe. Je pouvais voir la tension monter entre lui et JJ…
A l’origine, est-ce que vous assistiez juste aux concerts ou est-ce que vous les aidiez en tant que roadie ou autre ?
J’étais juste le copain de JJ qui venait voir ce qui se passait, traînait avec eux et voyait dans quels ennuis je pouvais me mettre.
Comment étaient les concerts à l’époque ?
Les concerts ne marchaient pas si bien. Le public n’aimait pas le groupe. Les propriétaires de pubs insistaient pour qu’ils jouent des choses que les gens connaissaient, ce qui les a emmenés à se moquer d’eux avec des titres comme Tie a yellow ribbon round the ole oak tree [un succès de 1973, ici en version originale par Dawn et Tony Orlando]. Mais Walk on by en est sorti et la première fois que je les ai entendus la jouer, j’ai été impressionné. Je me souviens d’avoir entendu ce titre dans un club pour mineurs du Kent, peu de temps après que Dave les ait rejoints. Waouh et même double waouh ! C’était brillant. Tout : la puissance de la basse, le son des claviers et le style de jeu étaient très différents. Le chant de Hugh, le jeu de Jet, tout était fabuleux. J’ai pensé : « qu’est-ce qu’ils sont en train de nous faire ? » !
Vous êtes devenu le manager mi-1975, qu’étiez-vous censé faire ?
A ce moment, Hans avait déjà été éjecté. Le saxophoniste était venu et reparti et au moment où Dave s’est joint à eux, ils étaient devenus plus ambitieux mais frustrés. C’est le moment où JJ a offert mes services. Je dirais que j’étais un manager à mi-temps ! Je voulais vraiment aider le groupe mais je n’avais ni les connaissances ni le pouvoir requis pour ce faire, bien que j’ai essayé le plus possible. Je leur ai fait faire une photo et une biographie ainsi qu’une cassette pour pouvoir faire écouter aux maisons de disques. J’ai fait ce que j’ai pu pour trouver des concerts ou approcher des agents. Le groupe a continué à faire n’importe quel concert qu’ils trouvaient. J’étais beaucoup trop naïf pour ce business…
Comment qualifieriez-vous leur musique à cette époque ? l’annonce du Melody Maker à laquelle Dave a répondu les décrivait comme un groupe Soft rock.
Avant que Dave n’arrive, je suppose que c’était plus un groupe de Rythm’n blues à la recherche du son qui leur convenait. Je pense que personne ne savait réellement ce qu’ils cherchaient mais quand Dave est arrivé, ça a été quasi instantané !
Après que Hans ait « décidé » de s’en aller, la recherche d’un autre musicien a commencé. N’ayant pas d’idée préconçue sur le son, le groupe a recruté brièvement un saxophoniste qu’on connaît seulement sous le nom d’Igor Saxophonovitch. De quoi vous souvenez-vous à propos de lui ?
Ha Ha, a-t-il seulement existé ? Peut-être l’ont-ils mangé, il y avait fréquemment des problèmes d’approvisionnement en nourriture à la maison…
Igor est parti au bout de quelques semaines et le groupe a décidé de recruter un claviériste à l’aide d’une petite annonce placée dans le MM. Parmi les personnes auditionnées, il y avait le « semi-pro » Dave Greenfield. A quel point était-il évident que c’était la bonne personne ?
Et bien, si vous faisiez abstraction de la moustache et l’écoutiez juste jouer, je dirais que ça a été instantané. C’est un musicien fabuleux.
Quel effet sur le son a eu l’arrivée de Dave ?
Il l’a complété, il a été le lien manquant, la dernière pièce du puzzle. Il a tricoté le son d’ensemble et en a fait les Stranglers que nous connaissons aujourd’hui. Le son s’en est trouvé augmenté et les chansons ont pris un caractère différent. Je ne crois pas qu’ils aient jamais été punks, ils étaient là bien avant que ça ne commence. Ils étaient des leaders dans leur domaine et je pense qu’on les a mis sous l’étiquette punk parce que ça convenait à l’industrie du disque et aux médias.
A cette époque, le groupe était lié par un contrat inintéressant mais contraignant avec le label Safari qui leur avait promis la sortie d’un 45 tours qui ne s’est jamais faite. Le groupe avait besoin qu’on les libère de ce contrat aussi JJ et vous avaient eu une idée. Pouvez-vous préciser ?
Ils avaient déjà rencontré Reg McLean de Safari et signé leur contrat pourri pour avoir du temps en studio mais c’était un contrat de disques et il était clair que Reg n’allait pas s’y prendre comme il faut. Il était bon mais son truc, c’était le reggae. JJ et moi avons mis au point un plan pour que je me fasse embaucher par Safari et que je vole le contrat. Alors, c’est ce que j’ai fait, j’ai eu le job et j’ai cherché les accords, papiers, enregistrements, etc. mais ça n’allait pas être facile parce que j’ai appris qu’il y avait plus d’un directeur et que celui qui gardait les contrats était à Birmingham.
Avec votre vue de l’intérieur de la maison de disques, vous avez réalisé qu’elle avait des problèmes financiers et que le groupe devait rompre son contrat. Comment y êtes-vous arrivé ?
Je les ai juste fait asseoir et leur ai dit que le groupe, c’était de la merde, la mauvaise chose pour le label, que nous ne pourrions rien faire avec eux, enfin tout ce que les directeurs artistiques des autres maisons de disques me disaient sur eux ! Finalement, ils sont tombés d’accord pour laisser partir le groupe et c’en a été fini.
[JJ a récemment mentionné le fait que ce n’est pas la dernière fois qu’ils ont entendu parler du deal avec Safari. A la mi-77, après que le groupe ait rencontré le succès avec Rattus Norvegicus, Safari est réapparu, menaçant de sortir les titres qui étaient sur la démo enregistrée aux studios TW. Réagissant promptement, le groupe et Albion ont empêché cette sortie.]
Avec le groupe libéré de Safari, vous vous êtes mis à approcher une multitude de maisons de disques avec la démo TW. Quelle a été la réponse ?
J’ai emmené les bandes de Strange Little Girl et de My Young Dreams à plus de 20 maisons de disques, d’éditions et de production - toutes les maisons grand public. Je suis revenu plus tard avec le pressage vinyle, des photos, la biographie et un embryon de gigographie, sans résultat. A chaque fois, on me disait que le nom ne convenait pas car il ne collait pas avec leur image ou leur style, qu’ils ne pouvaient pas se faire au style ou simplement, qu’ils n’aimaient pas. En toute justice, on ne parlait pas encore du punk à ce moment, les maisons de disques ne savaient pas encore ce qui allait leur arriver en pleine poire.
Je me souviens d’une compagnie, peut-être A&M, ils m’ont fait asseoir et ils m’ont demandé la bande. Avant de la jouer, ils ont regardé la photo et le nom du groupe et ont dit : « Pas intéressés » ! C’est à peu près ce qui m’arrivait, on me claquait fermement la porte au nez, encore et encore, et principalement à cause du nom, les gens détestaient le nom.
Alors le nom qu’ils s’étaient choisis s’est révélé être un gros problème ?
Ça l’est encore pour certains idiots ! Oui, leur nom était une pierre d’achoppement, il ne me dérangeait pas personnellement puisque c’était celui qu’ils avaient choisi mais il dérangeait les labels à l’époque. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi dans la mesure où je le trouvais parfait pour eux. Qu’est ce que ces imbéciles peuvent bien dire pour leur défense aujourd’hui !
Pendant cette période, le groupe a vécu des moments difficiles sur le plan financier. Comment survivaient-ils ?
Sur la nourriture qu’ils se partageaient, principalement des toasts au fromage (mais sans le fromage !), des bols de soupe et des pintes de bière. Ils ont même essayé de faire pousser leur nourriture dans le jardin… ils connaissaient vraiment des temps difficiles alors quand je leur rendais visite, je pense qu’apporter un litre de lait et une miche de pain était toujours apprécié.
Désireux d’affiner leurs capacités en live, le groupe a joué des concerts absolument improbables à cette époque, ils jouaient quasiment n’importe où où on les prenait. Pouvez-vous vous souvenir de concerts particuliers ?
Oui, un à Euston road. Je me suis fâché avec Dave à propos de sa petite amie d’alors, Jenny. Je l’ai attaqué à la sortie de la salle et le reste du groupe a dû me retenir. Je pense que JJ m’a frappé à la tête pour m’arrêter, j’étais probablement un peu saoul. Je le regrette profondément parce que Dave est vraiment quelqu’un de bien et d’amical et j’espère qu’on a laissé ça en arrière. Je le crois.
Il y en a eu un autre au club de mineurs du Kent. Je me souviens qu’à ce concert, un petit vieux est monté sur scène avec un petit podium, a arrêté le groupe et a demandé aux gens s’ils voulaient jouer au loto. Ils ont répondu : « Non » alors le groupe a continué. Hugh avait l’habitude de se masser le cou et d’avoir de la mousse autour de la bouche. C’était impressionnant mais dans des lieux comme cela, le public était choqué, ce qui était incroyablement drôle.
D’autres souvenirs de concerts à sensation ?
Il y en a eu mémorable à Aldershot, le siège de l’armée britannique. Dans mes souvenirs, ils jouaient dans un pub pour soldats et ça s’est terminé par une bagarre générale dans le public, sans doute provoquée par l’attitude du groupe envers eux. Une fois qu’un troufion a commencé à se battre, il n’y a pas moyen de l’empêcher de tout casser !
Je ne pense pas que ce soit raisonnable de me demander plus de précisions sur les concerts parce que je ne me souviens que de bribes et ne peux les relier les unes aux autres - ce qui en dit long sur mon état d’esprit de l’époque !
A quel point leur équipement était-il sûr ?
Il n’était pas sûr du tout mais sans argent pour faire des réparations ou des remplacements, on ne pouvait que mendier, emprunter ou voler. Le gars qui faisait la sono, Dick Douglas, a dû s’arracher les cheveux pour tacher de le garder en état de marche. C’était un tour de force rien que de déménager les supports de claviers et dans un fourgon de vente de glace en plus !
Les débuts du groupe à Londres ont attiré l’attention de l’agence Albion qui s’occupait de la programmation de quelques uns des pubs les plus connus de la capitale. Est-ce qu’ils se sont montrés immédiatement intéressés par le groupe ou est-ce qu’il a fallu de la persévérance ?
Je ne peux pas vraiment répondre. Je sais qu’ils étaient intéressés parce que Derek Savage m’a demandé si je continuerais à les aider après mais je savais qu’il s’amusait avec moi. Albion avait la capacité de faire ce qu’ils ont fait par la suite et d’intégrer le groupe dans le circuit des pubs londoniens. Le reste, c’est de l’histoire. Je pense que les Stranglers se sont trouvés au bon endroit au bon moment et qu’ils étaient suffisamment préparés pour qu’Albion les pousse dans la lumière. Albion leur montrait de l’intérêt et je ne vois pas en quoi j’aurais pu continuer à les aider alors ça a été la fin de ma courte carrière de manager à mi-temps.
En avril 1976, leur dur travail a fini par payer et ils ont signé avec Albion comme managers. Est-ce que ça a été un soulagement pour vous de transférer les rênes du management à d’autres ?
Ce n’est pas exactement comme ça que les choses se sont passés. Je ne me considérais pas comme leur manager. J’étais juste ravi pour eux et l’ai été encore plus quand JJ m’a envoyé une copie de leur premier single Grip. Il faisait le buzz et je pense toujours que c’est un de leurs meilleurs singles parce qu’il parait contenir tous les ingrédients de ce qui fait les Stranglers : les riffs de claviers, la basse puissante, les paroles et les chœurs parfaits. C’est vraiment un single sous-estimé qui aurait dû être numéro 1 !
Est-ce que ça a été la fin de votre implication dans les Stranglers ?
Oui, il n’y avait plus de place pour moi après ça. J’avais mes propres choses à faire. JJ est resté mon plus vieil ami, mon témoin quand je me suis marié, le parrain de mon premier enfant. Nos familles sont proches, nos enfants sont restés amis. J’ai assisté à des concerts partout où j’ai pu et je les ai supportés tout ce temps. Je suis fier d’en avoir été une petite partie.
Avez-vous été surpris que le groupe ait autant de succès ?
Non, j’aurais été plus surpris si ça n’avait pas été le cas. Ils auraient même dû avoir plus de succès mais finalement, ils ont survécu alors que ça n’a pas été le cas pour la plupart des autres groupes et ils ont survécu alors que beaucoup ne pensaient pas qu’ils y arriveraient.
Le graal des collectionneurs ?
Brian détient un disque EMI pressé sur une seule face avec la démo enregistrée à TW de Strange Little Girl qu’il faisait écouter aux directeurs artistiques des maisons de disques.
Ce vinyle de 1975 fait certainement partie, avec le premier single de Jet, des principales raretés en lien avec le groupe.
- Interview réalisée par Owen Carne (Official Stranglers site)/traduite par Cécile
- Photos du groupe dans le jardin de Chiddingfold et du premier 45 tours démo : Brian Crook
- Photo officielle du groupe en 1975 : The Stranglers
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1 commentaire:
Merci pour le partage et bravo pur le travail!!! El Doctor!!
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